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Lors d’un entretien en 2008, à l’occasion de l’attribution du Prix Nobel de Littérature, J.-M.G. Le Clézio annonçait son projet d’écrire un texte sur L.S. Senghor (1906-2001), homme politique et poète francophone d’origine sénégalaise, situé par sa biographie, sa vision du monde et son œuvre littéraire au carrefour de l’Afrique et de l’Europe. Premier écrivain d’origine négro-africaine à être élu membre de l’Académie Française en 1983, Senghor est devenu avec le temps l’une des grandes figures intellectuelles de la Francophonie et du Métissage culturel qui lui est inhérent. Il n’est pas étonnant que J.-M.G. Le Clézio ait été ébloui par une œuvre poétique qui illumine des feux de brousse de ses images rythmées la littérature de la deuxième moitié du XXe siècle et qui présente, en bien des aspects, des connivences et des coïncidences avec la sienne.
En effet, la « poésie de l’action » de Senghor, aussi bien que la prose narrative leclézienne, nimbée de poéticité, résultent d’un engagement dans le Monde contemporain et face à l’Histoire, le plus souvent douloureuse, qui le rend nécessaire. L’esclavage, la traite, la déportation, la colonisation, le racisme, la violence aveugle et les harcèlements de toutes sortes sont des thèmes récurrents chez l’un et chez l’autre. Senghor révise l’Histoire pour en faire la défense des valeurs de la civilisation noire et rêver d’une civilisation de l’universel, transfrontalière et transculturelle, véritablement métisse, car « toutes les grandes civilisations sont des civilisations de métissage culturel » (cité par R. Jouanny, 2002, 33). Le Clézio, pour sa part, revisite l’Histoire pour en dénoncer les affres et les injustices, les effets de l’oppression, la violence raciale, l’exil forcé, l’écrasement social, à travers un regard engagé et une voix narrative empathique envers les victimes et les opprimés, surtout envers les enfants qui « portent en eux l’avenir de notre race humaine » (Le Clézio, 2008, 12). Les deux écrivains ont en vue le continent africain comme exemple flagrant des blessures infligées par des civilisations adeptes du progrès et de l’industrialisation. La poésie de l’un, africain de naissance, tourne autour d’une Afrique réellement vécue, ressentie et rêvée depuis son exil européen comme fondement d’un Royaume d’Enfance survalorisé. La prose poétique de l’autre s’inspire souvent de l’expérience d’une Afrique visitée dans l’enfance, mise en fiction dans Onitsha (1991), et recréée dans L’Africain (2004). Dans ce dernier récit de filiation, situé en Afrique, Le Clézio restitue cette figure paternelle manquante dans sa petite enfance parce que Raoul Le Clézio était alors médecin de brousse au Nigéria.
Les deux écrivains puisent donc aux sources d’une Afrique mythique qui leur permet, d’un côté, de développer un primitivisme prudent et nuancé, de l’autre, de combattre la « culture du mépris » (Salles, 2006, 80) instaurée par l’Occident industrialisé. L’enjeu pour Senghor et Le Clézio est de défendre les valeurs ancestrales de l’Autre, de « danser l’Autre », selon une expression chère au premier. Tous deux rêvent de remonter le cours du temps, « comme les lamantins qui vont boire à la source », d’après le titre de l’essai senghorien (1990, 155-168), non pas pour développer un passéisme immobiliste, mais pour déceler les multiples fontaines dont découle l’écriture métisse, pour défendre la coexistence de multiples savoirs et de diverses visions du monde. En ce sens, la métaphore du fleuve devient « clé » chez les deux auteurs, qui lui attribuent des valeurs symboliques plurielles. L’une des plus significatives est celle du fleuve africain comme support de la chaîne isotopique Afrique-femme-amante-mère-écriture. Pour Senghor, ce sera la figure féminine imaginaire du cours du fleuve Congo qui, telle une « reine sur l’Afrique domptée » (1990, 101) donne lieu au magnifique poème éponyme, véritable « fleuve-poème » (Delas, 2005, 123). Chez Le Clézio, le Niger irrigue l’écriture autofictionnelle d’Onitsha pour devenir, selon le personnage de Sabine Rodes, « le plus grand fleuve du monde, parce qu’il porte dans son eau toute l’histoire des hommes, depuis le commencement » (O, 119). D’où le rêve de remonter aux sources – du temps, de l’humanité, de l’identité individuelle –, de boire l’eau mystique des fontaines sacrées : la Fontaine de Kam-Dyamé pour Senghor (Senghor, 1990, 28), celle d’Ite Brinyan, source de vie pour Geoffroy, le père de ce prénommé Fintan, alter ego enfantin de Le Clézio. Onitsha contient, comme beaucoup d’autres romans lecléziens, une forte rêverie des origines. Geoffroy, le père de Fintan, essaie de retrouver les traces de la reine Candace, l’héritière du royaume de Meroë, devenue dans ses rêves déesse du fleuve. La figure mythique de la reine Meroë s’avère très proche de celle que chante Senghor de sa « voix d’or vert de dyâli » (Senghor, 1990, 327) sous le nom de reine de Saba. En effet, Senghor consacre la dernière de ses Élégies majeures (1979) à la reine de Saba, long poème intégrant à la perfection « le verset des fleuves, des vents et des forêts » (Senghor, 1990, 30), véritable testament poétique dans lequel l’émotion et l’imagination se greffent sur une parole rythmée transmuée en Verbe. On n’est pas très loin de cette « Alchimie du Verbe » propre à Rimbaud, poète maudit et novateur dont s’inspirent tant Senghor que Le Clézio.
La poésie senghorienne de la célébration du monde s’avère très proche de l’émerveillement qui illumine l’écriture de Le Clézio : cette sorte d’« extase matérielle », cosmique et sensorielle. Les deux écrivains aspirent à traduire la « musique intérieure » qui résulte de leur contact au monde, de leur ouverture à l’autre, toujours attentifs aux « qualités sensibles – sensuelles – des mots » (Senghor, 1990, 161). Il s’agit, d’interpréter « […] la danse, le rythme, les mouvements et les pulsations du corps, le regard, les odeurs, les traces tactiles, les appels […] » (IST, 1978, 87) et de les intégrer, de les incarner, dans une matière expressive qui, par ce fait même devient « matière-émotion », c’est-à-dire « mise en œuvre simultanée de l’émotion et de la matière verbale » (Collot, 1997, 4).
L’aire commune à l’œuvre de Senghor et de Le Clézio contient donc un souci d’engagement envers le contemporain. Mais il y a d’autres coïncidences importantes. D’un côté, cette exploration commune du réel par l’intuition et les sens plutôt que par les a priori de la raison ou par la connaissance. De l’autre, cette vision émue du monde et de l’autre manifestée par une voix lyrique qui, chez Senghor, s’épanouit dans les longs versets cadencés des Élégies majeures (1979) et qui, chez Le Clézio, modèle sa prose tout en rendant définitivement poreuses les frontières entre narrativité et poéticité. Enfin, l’un et l’autre se sont inspirés d’histoires entendues, et non seulement lues, au cours de leur vie : Senghor des fables chantées par Marône, la poétesse de son village natal (Senghor, 1990, 167), Le Clézio, des fables dramatisées d’Elvira, conteuse amérindienne à qui il rend hommage dans son Discours de Stockholm, toutes deux responsables de la transmission orale des savoirs anciens et des mythes.
Lourdes Carriedo
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
COLLOT, Michel, La matière-émotion, Paris, PUF Écriture, 1997 ; DELAS, Daniel, « Un fleuve-poème : le Congo », in Paysages et poésies francophones, COLLOT, Michel et RODRIGUEZ, Antonio (Dir.), Paris, Presses de Sorbonne Nouvelle, 2005, 123-134 ; JOUANNY, Robert, Senghor « Le troisième temps », Paris, L’Harmattan, 2002 ; LE CLÉZIO J.-M.G. Onitsha, Paris, Gallimard, Folio, 1991 ; L’Africain, Paris, Mercure de France, 2004 ; RANAIVOSON, Dominique, Senghor et sa postérité littéraire, Université Paul Verlaine, Metz, « Écritures », 2008 ; ROUSSEL-GILLET, Isabelle et THIBAULT, Bruno, (Dir.) Migrations et métissages, in Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio 3-4, Ed. Complicités, 2011 ; SALLES, Marina, Le Clézio. Notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. SENGHOR, Léopold Sédar (Ed.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (précédée de « Orphée noir » par J.P. Sartre), Paris, PUF, Quadrige, 1948. SENGHOR, Léopold Sédar, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990 ; Liberté I-V, Paris, Seuil, 1964-1992.