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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Juan Rulfo est cité dans Ourania par le protagoniste Daniel Sillitoe alors qu’il voyage en autocar au Mexique « dans une plaine monotone, poudreuse » (Ou, 27) évoquant pour lui le « décor des livres de Juan Rulfo, à Comala pareille à une plaque de fer chauffée à blanc par le soleil, où les humains sont les seules ombres vivantes » (Ou, 27). Ce décor lunaire que Le Clézio mentionne dans Ourania, sert de toile de fond aux deux seules œuvres littéraires de Juan Rulfo et leur confère une atmosphère aride et inquiétante tout à fait unique. Ourania, dont le narrateur est géographe, se situe dans ce paysage marqué par une histoire sanglante, un lieu de mémoire en quelque sorte. Avec Ourania, Le Clézio rend hommage à Juan Rulfo, lui empruntant à la fois l’influence du décor – l’ambiance surréaliste du désert mexicain – et le palimpseste historique qu’il compose. En 2000 Le Clézio a également écrit la préface de la traduction française du recueil de nouvelles El llano en Llamas (1953), Le Llano en flammes. Les deux livres qui ont rendu célèbre l’auteur mexicain sont ce recueil de nouvelles et le roman Pedro Páramo (1955), que Le Clézio, dans La Fête chantée rattache au mouvement littéraire costumbriste qui tire son inspiration des mythes et légendes folkloriques précolombiens.

Juan Rulfo (1917-1986) est considéré en Amérique latine comme un écrivain majeur et respecté par de grands auteurs tels qu’Octavio Paz, Alejo Carpentier, Carlos Fuentes ou García Márquez, qui se serait inspiré de Pedro Páramo pour Cent ans de solitude. Également scénariste et photographe, Juan Rulfo écrit ensuite quelques scénarii de films et textes sans grande influence ; les critiques s’accordent à dire qu’il interrompt véritablement sa carrière littéraire après les deux livres qui l’ont rendu célèbre. Cependant son œuvre photographique se trouve intimement liée à son œuvre littéraire. Plus de six mille photographies en noir et blanc représentant le Mexique et contenant le substrat de ses romans se trouvaient dans sa collection, dont il a seulement accepté d’exposer une partie quelques années avant sa mort en 1980. Il photographie l’architecture en ruine pour montrer les tragédies historiques subies par son village, les paysages désolés du Llano, et des portraits dignes de paysans.

 L’époque qui intéresse Rulfo est la révolution mexicaine : une suite de coups d’états et de guerres civiles entre 1910 et1920, et la Guerre des Cristeros (1926-1928), cette lutte des paysans chrétiens contre le gouvernement qui désirait établir une religion d’état, évoquée à plusieurs reprises dans Ourania. Le père et le grand-père avocat de Juan Rulfo sont morts assassinés lors de ces affrontements sanglants et règlements de comptes cruels entre l’armée et les paysans religieux, puis la famille a été dépossédée de son ranch et de ses terres. L’auteur ne prend jamais parti pour un camp ou l’autre, dans la mesure où les horreurs étaient le fait des deux bords. Les massacres, lynchages et pendaisons sommaires racontés dans Le Llano en flammes ont tous pour toile de fond les clichés de cette époque, qu’il s’agisse de souvenirs personnels ou de photos.

Les critiques ont choisi de les appeler soit contes soit nouvelles car certaines des histoires du Llano en flammes se présentent indéniablement comme des contes oraux, incluant régulièrement des phrases à fonction phatique. Le Clézio décrit ainsi l’atmosphère de ces contes : « Un monde réduit à l’essentiel, laconique, dénudé jusqu’à l’os, raconté à la première personne, d’une voix monotone et pourtant chargée d’émotions […] imprégnée de désespoir ironique et d’une rage vibrante de vie » (Le Llano en flammes, 11). La première phrase du premier conte « On nous a donné la terre » annonce d’emblée le ton et le style de Rulfo : « Après tant d’heures passées à marcher sans même rencontrer l’ombre d’un arbre, ni une pousse d’arbre ni une racine de quoi que ce soit, on entend l’aboiement des chiens » (19). Le lieu est le Llano qui signifie « plaine », une étendue aride dans l’état de Jalisco, état rural du centre du Mexique. Les paysans de ces contes, dont parfois le narrateur, ont tous déjà tué quelqu’un. Les femmes sont victimes d’incestes ou contraintes à la prostitution par pauvreté. Les handicapés mentaux subissent lapidations et abus sexuels. Et tout cela est raconté comme si ces choses étaient normales et habituelles, aucun étonnement n’accompagne ces narrations. Il y a aussi la foi du malade incurable qui entreprend un pèlerinage et se mortifie au point de mourir aux pieds de la vierge, avec en parallèle la narration sordide de la culpabilité de son frère qui l’accompagne au bout de son calvaire tout en couchant avec sa femme. Les personnages, des plus inhumains aux victimes, possèdent tous une foi inébranlable ou une peur de l’enfer qui les conduit à l’église quotidiennement ou leur fait croire aux faux miracles de charlatans qui se présentent comme des saints. Une chape de plomb pèse sur eux qui va du soleil brûlant et de la faim persistante à l’enfer certain qui les attend après la mort. La cruauté des hommes rappelle celle des Romains antiques. Dans le conte « Le Llano en flammes » le chef de la révolution mexicaine Pedro Zamora « joue au taureau » dans une arène, encornant les ennemis prisonniers avec un couteau jusqu’à ce qu’ils meurent.

Pedro Páramo est un roman fantastique qui se passe dans un village abandonné, Comala, où des revenants évoluent et racontent les événements terrifiants ou sordides de leur vie. La majorité du texte se déroule sous forme de dialogues, alternant avec des descriptions d’émotions à la première personne du singulier. Le narrateur, Juan Preciado, venu à la recherche de son père sur l’injonction de sa mère mourante, ne sait manifestement pas qu’il est mort et se trouve étreint par une peur qui ne s’estompe que dans le sommeil. Le Clézio compare le voyage de Juan Preciado « au voyage initiatique du chaman vers le pays des ancêtres » (FC, 181). La tonalité des dialogues que nous lisons glace le sang : « Cesse donc d’avoir peur. Personne ne peut plus te faire peur. Essaie de penser à des choses agréables, car nous resterons enterrés longtemps » (Rulfo, 1979, 74). Pedro Páramo et Miguel, le seul fils qu’il ait reconnu et élevé, sont les deux tyrans du village et ont notamment engrossé ou violé une grande partie des femmes de la région. Sur fond de révolution mexicaine et de « cristiade », les personnages semblent parfois se trouver enterrés au cimetière ou errer en se posant des questions sur la vérité et sur les responsabilités de chacun. Tous, jusqu’au prêtre, ressentent culpabilité et regrets. Ils semblent en attente, il se peut qu’ils se trouvent au purgatoire, dans les limbes. Le Clézio rapproche le personnage du tyran Pedro Páramo du « nécromant Titlacaua, l’Esprit du mal, l’éternel ennemi de Quetzalcoalt » (FC, 182). Il associe le monde de Juan Rulfo aux « prophéties amérindiennes d’avant la Conquête » (FC, 181) et présente Pedro Páramo comme « la parabole sur le temps la plus significative de la littérature latino-américaine d’aujourd’hui » (FC, 181).

Sur la quatrième de couverture de Pedro Páramo, Carlos Fuentes qualifie ce roman de « contre-odyssée » : « Car cette histoire d’un cacique, de ses femmes, de ses tueurs et de ses victimes se situe dans le territoire privilégié du surréalisme : cet espace de l’esprit où, selon André Breton, la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, cessent d’être perçus comme contradictoires. » En effet, à l’instar d’Orphée, Juan Preciado effectue une descente aux enfers à la recherche de son père bourreau : un voyage qui le maintient à la frontière du réel et du royaume des morts, et dont il ne revient pas. Considéré comme l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, Juan Rulfo a reçu, en 1983, le prix Prince des Asturies pour la littérature.

 

Isabelle Constant

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CHEVALIER, Karine, La Mémoire et l’absent. Nabile Farès et Juan Rulfo de la trace au Palimpseste, Paris, L’Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2008 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Fête chantée, Paris, Gallimard, coll. Le Promeneur, 1997 ; Ourania, Paris, Gallimard, 2006 ; RULFO, Juan, Le Llano en flammes, Paris : Gallimard, coll. « Folio », 2001 ; Pedro Páramo, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1979 ; http://www.guiarte.com/noticias/juan-rulfo-fotografo.html. Consulté le 15 mars 2016.

Fête chantée (La) ; Ourania.