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Rigoberta Menchù se confie à Elisabeth Burgos dans un livre d’entretiens. Née à Chimel au Guatemala, le 9 janvier 1959, elle appartient à l’ethnie maya des Quichés. Elle parle de son attachement à la terre : « Ma terre, justement, c’est pour ainsi dire un paradis de tout ce que la nature a de beau dans les régions » (Burgos, 1982, 35). Elle raconte l’installation de ses parents dans ce petit village d’où ils ont été expulsés, faute de ressources. Ils partirent dans la montagne d’où ils descendaient vers le Sud, la Boca Costa, plusieurs mois par an pour travailler dans les fincas (plantations) où ils étaient exploités : par exemple un jour de salaire était retenu pour payer les médicaments en cas de maladie. De retour au village dans la montagne, elle décrit une vie communautaire respectueuse des traditions : le représentant qui fait fonction de roi est assisté d’élus de la communauté, la femme enceinte est très entourée, l’enfant, pris en charge par les compadres (parrains) en cas de décès des parents, est préparé par sa mère au contact avec la nature et à la vie, dès le septième mois de grossesse. Rigoberta Menchù souligne enfin le respect des coutumes vestimentaires, alimentaires et culturelles : les Tamales (galettes de maïs ou de bananes) représentent les jours sacrés. Chaque enfant a un nahual : un animal qui le protège. Les Guatémaltèques ont accepté la religion catholique sans renoncer à leur culture. Si Rigoberta fait référence à la Bible, à Moïse, à Judith, elle pense néanmoins que l’église est manipulée par les riches. Très jeune, elle accompagne son père dans des réunions qui organisent la défense de leur communauté contre l’armée, convaincue que, sans une juste violence, aucun peuple ne peut arracher sa victoire. Plus tard, elle reviendra sur cette déclaration pour prôner la non-violence.
Arrivé au pouvoir, le général Kjell propose une réforme de la répartition des terres, pour diviser les Indiens, dans le cadre de l’INAFOR : Institut National de reboisement du Guatemala. C’est à ce moment que se crée le CUC, le Comité d’Union Paysanne, dont les membres demandent à être reconnus comme syndicat des paysans. Sans réponse du président, ils vont agir dans la clandestinité. Le 29 mai 1978, des paysans qui manifestaient contre leur spoliation sont expulsés. Rigoberta entre au CUC en 1979. Elle apprend le mam, le cackchiquel, le tzeltal pour mieux s’adresser aux différentes communautés et les convaincre de lutter à leurs côtés, l’espagnol pour combattre le colonisateur. En 1980 son père et une vingtaine de paysans envahissent l’ambassade d’Espagne pour demander la libération des séquestrés, des torturés, des brûlés, mais ils meurent dans l’incendie provoqué par les forces de l’ordre. Les membres de la famille se séparent et militent dans les différentes communautés. Sa mère est arrêtée, torturée, violée, elle mourra après une longue agonie, abandonnée, sans sépulture. Son jeune frère mourra aussi dans d’horribles souffrances : des drames que Le Clézio rapporte avec émotion dans son article de La Fête chantée (FC, 227). Rigoberta continue la lutte, mais en 1981, elle doit s’exiler au Mexique. En 1991, elle participe à la préparation par les Nations Unies d’une Déclaration des droits des peuples autochtones. Ambassadrice de l’UNESCO, elle rentre au Guatemala et cherche à faire juger l’ex-dictateur militaire Efrain Rios Montt. En 1992 l’Académie suédoise lui décerne le Prix Nobel de la Paix.
Prix Nobel de la Paix
On retrouve dans tous les discours des Prix Nobel de la Paix les mêmes critères : tolérance, non-violence, espoir, solidarité, compréhension, abolition de la discrimination raciale, dialogue religieux et humanitaire, désarmement, résolution pacifique des conflits, combat en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, réformisme social, éducation. Dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature, J.-M.G. Le Clézio émettait également le souhait « Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine ». Ces valeurs, Rigoberta Menchù les défend par son action militante.
Membre honoraire du Club de Rome, elle s’est impliquée dans l’industrie pharmaceutique indienne en tant que présidente de la Compagnie « Salud para todos » et de la Compagnie « Farmacias Similares ». En 2006, elle a été à l’origine de l’initiative des femmes nobélisées qui ont décidé de mettre en commun leurs expériences et d’unir leurs efforts pour la Paix, la justice et l’égalité. Elle a créé le mouvement Winaq, plate-forme regroupant de nombreux mouvements mayas dans le pays et, en 2007 et en 2011, elle est candidate à l’élection présidentielle avec le soutien du MAS, parti bolivien. Membre de la fondation Peace Jam, une organisation dont la mission est de former de jeunes leaders engagés dans une dynamique de changement, elle participe également au comité d’honneur de la Fondation Chirac lancée en 2008 pour agir en faveur de la paix dans le monde. La Fondation Rigoberta Menchu Tum, dont le programme est le suivant : éducation, droits, développement des initiatives, participation citoyenne, mène des actions humanitaires à travers le monde (Guatemala, Mexique, USA, France). En France, le club Quetzal créé en 1997 par un groupe de jeunes collégiens de Mont de Marsan, sur l’initiative de Vincent Simon, est le relais de la Fondation Rigoberta Menchu Tum.
Le Clézio et Rigoberta Menchù
Dans La Fête chantée, Le Clézio consacre quatre pages à celle qu’il considère comme « La voix indienne », parce qu’elle lutte pour son peuple, pour la survie de ses coutumes, pour la survie de sa langue, pour son attachement à la terre, aux éléments, à la nature ; parce qu’elle défend les femmes si souvent victimes des hommes, et lutte pour l’égalité des sexes. Le compte rendu de l’autobiographie de Rigoberta Menchù est l’occasion pour J.-M.G. Le Clézio de dénoncer à nouveau « l’humiliation » infligée aux peuples autochtones par le colonisateur, «l’ex-ploitation du pauvre par le riche » (FC, 227), et de saluer « l’éveil d’une conscience » militante et porteuse d’espoir : « Elle a compris que le seul espoir de ceux qu’elle aimait était dans le sacrifice, afin qu’un jour puisse venir un autre monde, où la beauté ancienne miraculeusement gardée – le don du soleil, de la terre, de l’eau, du maïs qui sont les liens sacrés qui unissent son peuple au Dieu créateur – pourra enfin s’épanouir » (FC, 228). Le combat de Rigoberta Menchù rejoint celui de J.-M.G. Le Clézio pour donner à entendre la voix des minorités dans le « concert de l’humanité » et défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Jacqueline Jacomella
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BURGOS, Elisabeth, Moi, Rigoberta Menchù, Paris, Gallimard et Elisabeth Burgos, coll « folio », 1983 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. La Fête chantée, Paris, Gallimard, coll, « Le Promeneur », 1997 ; Discours de Stockholm, Dans la Forêt des paradoxes, Quatre Bornes, Revue Italiques, n° hors-série, 2009, p. 74-84 ; http://fr.wikipédia.org/Rigoberta_Menchu.
Fête chantée (La)