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David est le protagoniste de la nouvelle éponyme qui clôt le recueil La Ronde et autres faits divers, publié en 1982. Après l’accident mortel de son père – qui portait le même prénom – et la fugue de son frère aîné, le petit garçon d’à peine neuf ans, David, mène une vie sous le signe de la pauvreté avec sa mère dans un appartement de la vieille ville. Il quitte le domicile afin d’aller rejoindre son frère disparu. La recherche du personnage de David se transforme en une quête d’appartenance et en une lutte contre l’argent qui soutient la vie citadine, pour s’estomper dans une tentative de s’emparer de l’argent de la caisse d’un magasin.
Typiquement mis en récit à la troisième personne du singulier, l’enfant leclézien partage sa perspective sur l’univers urbain, espace conçu par les adultes et où la créativité et l’imagination enfantines ont du mal à trouver leur place. À l’instar d’autres enfants lecléziens, le personnage de David est calqué sur une réinterprétation ironique de l’héros biblique David, troisième roi de la Monarchie unifiée d’Israël et Juda – ce qui ajoute une dimension tragique et quasi métaphysique au récit. Quand il a peur, le protagoniste leclézien pense au jeune berger et futur roi biblique David, dont l’histoire lui a été transmise oralement par sa mère et qui figure en filigrane tout au long de la nouvelle. Rappelons que selon la Bible hébraïque, le jeune berger David de la tribu de Juda, le plus jeune des fils de Jessé, est appelé aux côtés du roi Saül pour l’apaiser de ses chants. Il déroute les ennemis philistins en vainquant le géant Goliath à l’aide de sa fronde. Or, les géants à qui s’oppose le David leclézien sont ceux de l’urbanisme et du consumérisme, présents déjà dans Les Géants. À l’instar de son homonyme biblique, le personnage leclézien se prépare au combat en ramassant un galet plat sur le lit du rio sec qui parcourt la ville. Mais contre les géants modernes, il se montre pourtant inefficace : le jeune David est attrapé, et le galet tombe de sa main sur le sol du magasin : « le géant l’a vaincu … il ne sera pas roi … il ne retrouvera pas ce qu’il cherche. » (p. 244). L’intention de David n’est nullement de voler de l’argent, mais d’en détruire autant que possible. C’est la manifestation d’une nécessité intérieure de combattre l’argent, qu’il déteste et qu’il trouve sale et laid. Il finit par jeter les espèces par terre dans un geste de mépris.
Le vol d’argent va de pair avec un autre genre de vol, celui des nuages et des anges. Il associe leur bonheur à l’éloignement de la terre et « avec […] le silence, le grand silence, qu’on croirait descendu du ciel pour apaiser la terre » (p. 247), et qu’on trouve tôt le matin, avant le grondement des moteurs, des voix des hommes. David ressent leur présence comme « un passage de vent, très rapide et léger comme un souffle » (p. 249). Le vent devient un symbole de la qualité spirituelle du subconscient.
Dans son aspiration de rejoindre son frère Édouard, d’environ six ans son aîné, et dont le prénom d’origine germanique veut dire « celui qui garde les richesses », David désire atteindre la vraie richesse au-delà du trop-plein de la ville, à savoir la communauté humaine, voire l’utopie (Borgomano, 2004). Cependant, il a perdu son frère pour toujours, car adolescent, Édouard a quitté le monde magique de l’enfance. À un moment donné, David entre dans le centre commercial avec une famille à laquelle il rêve d’appartenir, mais devant l’incompréhension de la fille aînée qui refuse gentiment la pomme qu’il lui offre, il quitte le supermarché, les larmes aux yeux. Ce n’est que dans l’excipit que David trouve le chemin sans retour qui le mènera vers son frère. Le vol gâché se transforme ainsi en un rite de passage (Salles, 2007).
Le lit du rio sec à la marge de la ville, où coule à peine un mince filet d’eau, reste un des seuls milieux où David éprouve des moments d’apaisement. C’est là qu’il ramasse le galet pour sa lutte contre « les géants », c’est là que, dans un passé indéfini, il retrouve la bande de son frère en train de sniffer de la colle, manière artificielle et négative d’éprouver le tourbillon de vide dont la face positive est l’extase. Au matin, la brume qui monte du lit du fleuve fait disparaître la ville devant les yeux de David ; le gris, non-couleur par excellence, transforme l’espace en un non-lieu, une utopie. En ville, il rêve des esplanades sans fin, mais la seule étendue qu’il voit n’est que le carrelage de couleur rouge du magasin, comme si le sang des êtres humains victimes de la consommation s’était répandu sur le sol de l’édifice.
Finalement, le personnage de David rompt les liens humains et se dépouille de tout dans une aspiration à se rapprocher de l’existence à l’état pur, mais tout comme dans chacune des nouvelles du recueil, la fuite se heurte aux contingences du monde réel. David est au fond la victime de l’agression urbaine, d’une société devenue inhumaine, démesurée, aliénante et répressive.
Fredrik Westerlund
(2023)
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ARRIENS, Astrid, J.M.G Le Clézio als Erzähler moderner Mythennovellen. Thèse de doctorat soutenue à Christian Albrechts-Universität, Kiel, 1992 ; BORGOMANO, Madeleine, « Le Voleur comme figure intertextuelle dans l’œuvre de J. M. G. Le Clézio », in J. M. G. Le Clézio, coord. Sophie Jollin-Bertocchi et Bruno Thibault, P.U. de Versailles, Éditions du Temps, 2004, p. 19-30. COENEN-MENNEMEIER, Brigitta, « Kind und Kosmos: J.M.G. Le Clézio als Geschichtenerzahler » in Die Neueren Sprachen 83: 2, April 1984, p. 122–145 ; GLAZOU, Joël, La Ronde et autres faits divers, J.M.G. Le Clézio, Parcours de lecture, Paris, Editions Bertrand Lacoste, 2001 ; LE CLÉZIO, Marguerite, « J.M.G. Le Clézio : ‘La Ronde et autres faits divers’ » in French Review, vol 56 no. 4, mars 1983, p. 667–668 ; MAURY, Pierre, « Le Clézio : Retour aux origines. », Entretien dans Magazine littéraire 230, aai 1986, p. 92-97 ; La SAINTE BIBLE, 1 S 17, notamment 1 S 17,40 ; SALLES, Marina, Le Clézio, « Peintre de la vie moderne », Paris, L’Harmattan, 2007.