- Avant-propos
- Oeuvres
-
- Romans
- Nouvelles et textes brefs
-
- « AMOUR SECRET »
- « ANGOLI MALA »
- « ARBRE YAMA (L') »
- « ARIANE »
-
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) » - « ÉCHAPPÉ (L’) »
- « FANTÔMES DANS LA RUE »
- « GÉNIE DATURA (LE) »
- « GRANDE VIE (LA) »
- « HAZARAN »
- « IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
- « L.E.L., DERNIERS JOURS »
- « MARTIN »
- « MOLOCH »
- « ORLAMONDE »
- « PASSEUR (LE) »
- « PAWANA »
- « PEUPLE DU CIEL »
- « RONDE (LA) »
- « ROUE D’EAU (LA) »
- « SAISON DES PLUIES (LA) »
- « TEMPÊTE »
- « TRÉSOR »
- « VILLA AURORE »
- « ZINNA »
- Essais
- Personnages
- Lieux
- Lexique
-
- BIAFRA (GUERRE DU)
- CANNE À SUCRE
- CHAUVE-SOURIS
- CIPAYES (RÉVOLTE DES)
- COSTUMBRISME
- CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
- DODO (LE)
- ÉCOLOGIE
- FLORE (Maurice)
- HINDOUISME
- LANGAGE DES OISEAUX (LE)
- LANGUE BRETONNE
- LOUVRE (LE)
- MURALISME
- OISEAUX (MAURICE)
- PROSE POÉTIQUE
- SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
- SANDUNGA
- SIRANDANE
- SOUFISME
- Bibliographie et abréviations
- Auteurs
Désert paraît chez Gallimard en 1980. À l’occasion de la sortie du roman, l’auteur se voit décerner, par l’Académie française, le Grand Prix de littérature Paul Morand, pour l’ensemble de son œuvre. Jean-Louis Ézine, en mai 1992, note dans Le Nouvel Observateur : « il avait un peu disparu entre La Fièvre et Désert ». Le Clézio retrouve la notoriété apportée par Le Procès-Verbal.
Désert occupe dans l’œuvre une place particulière, inaugure une manière nouvelle. Les catégories du roman – personnages, espace, temps –, les fonctions : auteur, narrateur, plutôt malmenées dans les œuvres précédentes, deviennent identifiables. Le roman renoue, dans une certaine mesure, avec la tradition romanesque – condamnée par le Nouveau Roman, auquel J.M.G. Le Clézio est associé en 1973, sur une liste citée par Jean Ricardou.
Cependant, par sa structure même, Désert se singularise. Il est composé de deux récits alternés, nettement distincts l’un de l’autre par leur disposition sur la page : un récit étroit à grande marge, un second récit à la mise en page conventionnelle.
Le personnage principal du récit étroit, Nour, appartient à la civilisation nomade des Hommes Bleus qui fuit les troupes françaises de 1910 à 1912 à travers le Sahara Occidental jusqu’au Sud Marocain. Cette fuite, qui se poursuit guidée par Nour, fonde, avec la victoire des Français, le processus de colonisation qui va marquer les vies à venir, dont celles de Lalla.
Lalla, dans la même œuvre mais dans le second récit, vit en sédentaire, d’abord dans un bidonville qu’on suppose au Maroc, au bord de l’Atlantique, puis s’exile à Marseille. L’époque est contemporaine de l’écriture : voitures, supermarchés. Ces deux récits présentent donc une rupture temporelle et spatiale. Lalla n’a pu connaître la fuite des Hommes bleus, dont elle a été séparée peu de temps après sa naissance.
Existe surtout entre les deux récits une rupture axiologique. L’histoire de Lalla peut s’inscrire dans le courant romanesque, car retraçant la lutte de « l’individu problématique », selon une formule de Lukács, contre l’engloutissement par la société. Elle fuit le Maroc et son cher berger chleuh, Le Hartani, parce qu’on veut la marier de force à un homme riche, elle fuit Marseille pour ne pas être avalée par l’exploitation des plus faibles et le consumérisme. La récurrence des images d’anthropophagie et d’aspiration par le gouffre hypostasie la ville qui devient ogre. Alors qu’elle déambule dans Marseille, « Lalla sent le vertige continu du vide qui entre en elle comme si le vent qui passait dans la ruelle était celui d’un long mouvement giratoire » (D, 295). Les coupables, « ce sont les géants immobiles, aux yeux sanglants, aux yeux cruels, les géants dévoreurs d’hommes et de femmes. » (D, 296) La petite émigrée, mal vêtue, mal nourrie, exploitée à des tâches répugnantes, devient top-model. Elle obtient donc la meilleure part de ce que cette société peut offrir : la célébrité et la fortune. Mais Lalla retourne au désert et au bidonville pour mettre l’enfant du Hartani au monde et retrouver l’éblouissement d’un certain regard.
Le temps de Nour, bien qu’en relation avec l’Histoire, prend une valeur épique car il rompt avec le temps objectif. Non seulement, assimilé à l’espace, il est invariable et fixe, mais il représente une acmé : « C’était un pays hors du temps, loin de l’histoire des hommes peut-être, un pays où plus rien ne pouvait apparaître ou mourir, comme s’il était déjà séparé des autres pays, au sommet de l’existence terrestre » (D, 11). Les êtres ne sont pas distincts les uns des autres, Nour succède, dans son rôle de guide, à son père, l’homme au fusil ; ils ne sont séparés ni des bêtes, car ils ont les mêmes besoins – le repos, la faim, la soif –, ni des éléments, réduits au minimum : sable, vent, ciel. Dieu et les saints sont consultés et répondent. Ma el Aïnine est doté d’une autorité morale incontestable car supposée de source divine. Archétypaux, ils appartiennent à une « geste » écrite dans un style incantatoire. Ce récit s’oppose donc à la part romanesque de l’œuvre où les personnages sont caractérisés et en rupture avec la société.
Des nuances pourtant s’imposent.
L’épopée des Hommes Bleus qui encadre l’histoire de Lalla ne se termine pas sur un aboutissement : ni la paix ni la révélation, encore moins l’arrêt de la quête, mais la défaite et le doute, la recherche obligée d’une issue, comme si l’épopée, qui ferme le « roman », ouvrait sur le romanesque, sur la lutte de « l’individu problématique ». « Même les guerriers du désert, les hommes bleus invincibles de Ma el Aïnine étaient fatigués, et leur regard était honteux, comme celui des hommes qui ont cessé de croire. » (D, 222)
Inversement, le roman est pénétré par l’épopée, ne seraitce que par l’apparition à Lalla de Es Ser qui semble la réincarnation du maître spirituel Al Azraq, et plus fortement par le récit qu’Aamma lui fait de ses origines. Elle serait de la lignée d’Al Azraq. D’autre part, Le Hartani, l’initiateur, par l’accumulation de ses dons et de ses pouvoirs extraordinaires, semble lui aussi venir de l’épopée, échapper au réel. Auprès de lui, le monde se fait chair, se met à palpiter. Cette intensité d’être, ce renouveau qui sont accordés aux choses par le regard, l’ouïe, l’odorat, le toucher, confèrent au héros une conscience accrue, voire paroxystique de son existence et de l’univers. Lalla regarde les moucherons que lui montre Le Hartani : « Ces choses étaient plus belles quand il les regardait, plus neuves comme si personne ne les avait regardées avant lui, comme au commencement du monde (D, 121) ». La description n’est pas là pour sa valeur pittoresque ni pour placer les circonstances de l’action. La terre est scrutée, interrogée, sommée de répondre. « Lalla continue de marcher, très lentement, en regardant le sable gris avec tellement d’attention que ses yeux lui font un peu mal. Elle guette les choses sur la terre […] » (D, 72). Disparaît la séparation entre nature et culture propre à l’Occident qui, selon Le Clézio, fait de l’homme un éternel exilé de lui-même.
On a reproché à Le Clézio son goût pour les sociétés archaïques ou en voie de développement. Pour lui, la surproduction est à l’origine de toutes les exploitations, de tous les abus. L’épisode situé à Marseille est titré « La Vie chez les esclaves » – alors que la marche des Hommes bleus longe les champs cultivés par les esclaves harratin (D, 15), que le berger chleuh Le Hartani vient sans doute d’un peuple d’esclaves (D, 104). L’esclavage surgit bien avant Marseille dans Désert. Le Clézio semblerait donc partial. Cependant, ce qui est surtout désigné à travers l’opposition entre désert et ville, c’est l’exil de soi imposé au citadin et la mission scrutatrice et révélatrice du regard, double de l’écriture. « Le Procès-Verbal est une veille », disait Foucault. Désert, comme la majorité des ouvrages de Le Clézio, répond à cette définition. Que l’œuvre intéresse particulièrement l’écocritique, qui étudie les relations entre littérature et environnement naturel, n’a rien d’étonnant : « Les descriptions lecléziennes de la Nature vont de l’ampleur absolue (la vue infinie des dunes dans le désert) à l’attention au plus minuscule (les gouttes d’eau). » (Sueza, 2009) Mais c’est au risque de faire de la littérature un simple mode de défense de la nature, d’oublier la quête de l’Être constante dans le roman. Le désert y a une valeur de « parabole », comme le souligne Jean Michel Maulpoix.
Michelle Labbé
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BORGOMANO, Madeleine, Désert J.M.G. Le Clézio, Paris, Éditions Bertrand Lacoste, Parcours de lecture,1992 ; BOUVET, Rachel, Essai sur l’imaginaire du désert, Montréal, XYZ Éditeurs, coll. Documents, 2006 ; DOMANGE, Simone, Le Clézio ou la quête du désert, Paris, Imago, 1993 ; LE CLÉZIO, Jean-Marie Gustave, Désert, Gallimard, Le Chemin, 1980 ; FOUCAULT, Michel, « Le Langage de l’espace », Critique n° 203, avril 1964, p. 379 ; LABBÉ, Michelle, Le Clézio, l’écart romanesque, Paris, L’Harmattan, 1999 ; LUKÁCS, Georg, Théorie du roman, Gallimard, Tel, 1968, p. 73 ; MAULPOIX, Jean-Michel, « Désert de J.M.G. Le Clézio », La Quinzaine Littéraire n° 326, 1980 ; RICARDOU, Jean, Le Nouveau Roman, Le Seuil, Écrivains de toujours, 1978, p. 10 ; SALLES, Marina, Le Clézio, Désert, Paris, Ellipses, col. Résonances, 1999 ; SUEZA ESPEJO, Maria José, « Désert de Jean-Marie Gustave Le Clézio, analyse d’éléments descriptifs et interprétation écocritique », Avril 2009 http://webpages.ull.es/users/cedille/cinco/sueza.pdf, consulté le 8 décembre 2015.