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La nouvelle « La roue d’eau » (publiée dans Mondo et autres histoires, 1978) raconte une journée dans la vie du jeune Juba, petit paysan qui vit en Algérie près de Cherchell et des ruines de l’antique cité de Yol, rebaptisée Caeserea par Juba II au premier siècle de notre ère. Cette histoire se déroule en trois parties dans un même lieu habité, à deux époques différentes, par ces deux personnages qui portent le même nom.
Dans la première partie, on voit le jeune Juba se lever avant le soleil, puis marcher vers la noria où il attelle les bœufs qui vont faire tourner la « roue d’eau ». Sur le chemin, il ramasse quelques fleurs d’acacia et les mâchonne : ce geste apparemment naturel et anodin le prépare à affronter la journée et, symboliquement, l’initie à la connaissance de la vérité, celle d’un mythe immémorial et universel, celui de la renaissance. Car au fur et à mesure que l’eau s’élève dans le puits, « le soleil s’élève lentement au-dessus de l’horizon » (LR, 153). Cette noria de l’eau est aussi noria du temps où chaque jour est une renaissance et répète le précédent en un cycle d’éternel retour, où chaque jour Juba répète les gestes de ses aïeux, accomplissant ainsi son travail d’homme, qui permet de cultiver la terre en harmonie avec l’eau et le soleil.
La partie centrale est un voyage dans le temps. Comme souvent chez J.-M.G. Le Clézio, un glissement narratif quasi imperceptible fait passer du présent au passé, du réel au rêve. Juba s’assoupit sous le soleil de midi et dans son rêve, il est transporté à Yol, à l’époque de Juba II, roi de Maurétanie et de son épouse Cléopâtre Séléné. Là aussi un glissement nominal fait passer de Juba le petit paysan au roi Juba II, « un jeune roi venu de l’autre côté de la mer et qui portait le même prénom que lui » (LR, 156). La référence à ce roi numide n’est pas pour J.-M.G. Le Clézio une simple recherche de vérité historique lorsqu’on sait que Pline l’Ancien dit de lui « qu’il était encore plus connu pour son savoir que pour son règne » et que son héritage culturel métissé (il a été élevé à Rome et est marié à Cléopâtre Séléné d’origine égyptienne et grecque) lui ont permis de jouer un rôle dans les échanges culturels et artistiques de son époque et de délivrer un message de tolérance. Juba II est donc un « roi sage » qui veut créer une ville « où l’on enseignera la philosophie, la science des chiffres […] » (LR, 160). Comment ne pas voir dans celui qui fut « emmené comme un esclave à Rome » puis est devenu roi, un modèle, un idéal pour Juba le petit paysan exploité dans un monde encore sous le poids du système colonial ? Comment ne pas voir dans ce rappel du passé historique une valeur culturelle d’identification et dans ces références au métissage et à l’interculturalité, la défense de valeurs chères à J.-M.G. Le Clézio dans le monde d’aujourd’hui ?
La troisième partie fait revenir au réel et au présent. Les ombres s’allongent, la lune prend la place du soleil, la roue d’eau s’arrête. Le cycle de l’eau et le cycle du temps sont accomplis, le travail de Juba aussi. Quelle vérité Juba a-t-il découverte au terme de cette journée ? Y-a-t-il un sens à ce cycle qui se répète indéfiniment ? À la fin de sa journée, en refaisant toujours les mêmes gestes, n’est-il pas à sa manière un nouveau Sisyphe, cet autre roi de légende qui a joué de ruse pour que les dieux accordent une source intarissable à sa ville de Corinthe et qui sera condamné à rouler chaque jour son rocher en haut d’une colline avant de le voir redescendre ? Comme Sisyphe donc, « il faut imaginer Juba heureux » quand il redescend de son « monticule de pierres » car il a « fait son métier d’homme » comme disait Camus qui célébrait ses « noces à Tipasa » en chantant le monde présent tout en contemplant les ruines, vestiges du passé glorieux des civilisations disparues. Ce rapprochement de pensée induit par le rapprochement géographique (Tipasa se situe à côté de Cherchell) n’est sûrement pas fortuit. Avant de retourner « vers les maisons où les vivants l’attendent » (LR, 164) le jeune Juba a fait aussi le détour par le passé et les morts. Sur le chemin du retour, il s’interroge : « Peut-être reste-t-il quelque part un monument en forme de tombeau, un dôme de pierres brisées […] » (LR, 164) qui évoque le mausolée construit à proximité de Tipasa par Juba II à la demande de sa femme Cléopâtre Séléné. C’est donc en passant devant les ruines des civilisations passées, celles de Yol, celles de Tipasa, devant le mausolée de Juba II et de Cléopâtre, que Juba acquiert savoir et sagesse et qu’il comprend que les hommes comme les civilisations sont mortels. Il a puisé dans le passé ce qui lui permet de vivre le présent. Il a compris que le futur sera identique au passé et au présent, « quand les grandes roues de bois recommenceront à tourner, quand les bœufs repartiront […] » (Ibid.), dans un éternel recommencement, une éternelle renaissance et que tout cela participe à l’équilibre du monde et de la nature.
Comme les sept autres histoires du recueil qui sont souvent proches du conte initiatique, cette nouvelle, qui part du présent pour plonger dans un passé historique, fait aussi appel aux symboles et aux mythes liés à l’eau et aux cycles naturels. Ainsi la quête de Juba renvoie à celle des autres personnages et fait de lui le frère de Jon (dans « La Montagne du dieu vivant »), de Gaspar (dans « Les Bergers »), de David Sinbad (dans « Celui qui n’avait jamais vu la mer »).
Joël Glaziou
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LE CLÉZIO J.-M.G., Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, Folio n° 1365, 1982, (p. 147-164) ; MAROTIN, François, Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, Foliothèque n° 47, 1995, p. 65-72.