EXTASE MATÉRIELLE (L’)

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Bibliographie et abréviations
Auteurs

L’expérience de « l’extase matérielle » qui donne son titre à l’essai de J.-M.G. Le Clézio, publié en 1967, permet, par un dépassement de la conscience rationnelle au profit d’une conscience augmentée, de surmonter, en dehors de la foi religieuse, les dichotomies douloureuses et l’angoisse de sa finitude en acceptant que le moi s’efface pour se fondre dans « L’étendu » (EM, p. 58) de « la matrice originelle » (EM, p. 205).

 

Il faut tout d’abord définir la conception du matérialisme chez Le Clézio dans L’Extase matérielle (qui n’a rien à voir naturellement avec le sens courant et vulgaire du terme « matérialisme ») : « Le matérialisme leclézien inverse les hiérarchies idéalistes : l’éternité n’appartient pas à l’esprit, mais à la matière » (Salles 2006, p. 189). Contrairement à la pensée matérialiste cartésienne, Le Clézio postule l’indivisibilité de la matière et de l’esprit, et recherche l’Être, la transcendance non dans l’étendue immatérielle, mais dans « l’ici, [le] présent, [le] déployé » (EM, p. 132), immanents à la matière Une et éternelle, dont la mort et la vie ne sont que « des modalités sans importance, comme le végétal ou le minéral » (EM, p. 161). Ceci s’oppose aux dogmes des religions institutionnelles, les « grandes synthèses transhumaines » (EM, p. 132), dans une approche qui relie ce texte à la fois aux Présocratiques, aux philosophies orientales (le bouddhisme zen, la pensée taoïste, l’hindouisme) et à la science moderne. Il est à noter que ce matérialisme semble aller jusqu’à la négation de « l’existence de Dieu » (EM, p. 114). Ook Chung affirme : « Pour Le Clézio, la transcendance n’est que le renoncement à l’illusion anthropocentrique » (2001, p. 117). Ce « désir d’une relation nouvelle avec la matière » (Stendal-Boulos 1999, p. 149) est la forme que prend la contestation du jeune Le Clézio à l’encontre de la civilisation postmoderne, à l’instar du Nouveau Réalisme qui rompt avec les formes et les conceptions admises.

 

La conception de la matérialisation leclézienne dans l’espace du texte révèle « une sorte d’extase matérielle » (F, p. 7) dans laquelle le sujet narratif succombe en perdant l’équilibre de la raison sous l’assaut des sensations. Afin de démystifier sa « raison », la conception classique et livresque de la culture, Le Clézio reprend le mécanisme interne de la mentalité d’Adam Pollo (protagoniste de son premier roman Le Procès-verbal) qui encourage le protagoniste sur la voie de l’« extase matérialiste » (PV, p. 160).

 

Liée à la pensée taoïste, la réflexion de Le Clézio sur ces notions de matérialisme et d’extase matérielle aboutit à une volonté de ne pas se laisser corrompre par « le mensonge et l’artifice [qui sont] les fondements de notre vie sociale » (EM, p. 62), et dont le résultat est un nécessaire dualisme :

 

J’entends, par livre fidèle, un livre dans lequel le langage ne serait plus un mensonge destiné à m’aider à vivre, mais un outil grâce auquel je pourrais connaître la vérité. Non pas la vérité au sens que la métaphysique a donné à ce mot, mais la vérité que représente mon [plus] grand ajustement avec la réalité. Connaître la vérité, cela veut simplement dire pour moi savoir accorder la part nécessaire de réalité à sa propre vie, savoir s’ajuster au rythme de cette vie, connaître plus profondément chacune des impulsions qui nous mènent. (Borderie 1967, p. 12)

 

Ce « livre fidèle » ― L’Extase matérielle considéré comme « l’œuvre du silence » (EM, p. 199) ― oriente le lecteur vers « une mission de dévoilement » (Salles 2006, p. 184).

 

L’infiniment moyen

 

Dans L’Extase matérielle, le chapitre intitulé « l’infiniment moyen » est l’occasion pour le jeune auteur franco-mauricien d’aborder le sujet de l’humain rationnel qui « revient à la conscience » et « se résume à l’individualité » (EM, p. 64), d’explorer le monde réel dans lequel il a été jeté « par hasard » (EM, p. 43) : « [...] la pensée utile, l’infériorité de la culture comparée à la vie, le mécanisme de l’extase, la comédie sociale, la recherche d’un mode d’expression du monde, la critique du mensonge et de l’artifice loin de l’émotion, la condition humaine, le savoir, la communication, le silence… » (Roussel-Gillet 2011, p. 32), voire « la question délicate de l’engagement de l’artiste » qui sera complétée dans Diego et Frida de 1993 (Salles 2006, p. 101). L’écriture leclézienne témoigne toujours de l’intérêt de l’écrivain pour « l’infime » (Ben Salah Ben Ticha 2014, p. 14) ainsi que pour le « grouillement des molécules indestructibles » (EM, p. 222) liées à la micro-physique. Il existe dans l’écriture leclézienne « la main de la pensée » (EM, p. 199) qui permet à l’écrivain d’atteindre l’ataraxie : « Je suis un maniaque du repli sur soi » (EM, p. 43) grâce à la « Solitude fructueuse » (Le Clézio 1964, p. 267) que Le Clézio trouve dans les écrits de Henri Michaux. Le Clézio affirme, malgré tout la richesse de ce réel, la nécessité pour l’artiste de ne pas s’en détourner. Adina Balint observe que Le Clézio affirme avec conviction la nécessaire « adhésion au réel » (EM, p. 141) des artistes, dès ses premières œuvres dans les années 1960 (2016, p. 19).

 

L’Extase matérielle postule le paradoxe de la mort dans la vie et de la vie dans la mort. L’écrivain obsédé par l’ineffable déclare : « la mort n’est pas un autre monde, et [...] mourir c’est simplement passer d’une forme de vie à une autre » (Borderie 1967, p. 12). La citation contredit l’idée d’un dualisme irrémédiable en affirmant plutôt une continuité : « En allant vers le silence et la mort, je n’allais pas vers le néant. J’allais vers ce qui est plus plein que moi [...] vers ce qui est océan quand je n’étais que goutte » (EM, p. 206). Masao Suzuki remarque que la représentation de la mort chez Le Clézio « n’est plus l’anéantissement de l’être, ni l’antithèse de la vie » (2007, p. 58) : « La vie et la mort sont des formes qu’adopte la matière » (EM, p. 226). Avant la naissance, il y a le chaos, l’errance infinie des particules; la mort n’est pas le vide, le néant, ni la séparation de l’âme et du corps, mais le retour vers le silence de la matière, particules en mouvement. Entre ces deux phases d’indétermination, apparaît la vie humaine due à une succession de hasards minutieux, l’entrée dans « l’infiniment moyen » dont la tragédie naît de la conscience rationnelle des oppositions entre moi et non moi, être et néant, corps et esprit, blanc et noir… En lisant cet essai, lié à la méditation sur l’Être, à la rêverie de l’origine et de la fin, le lecteur aura surtout l’impression de se trouver devant plusieurs dilemmes issus de l’expression répétée de notions posées en dualisme irrémédiable. Par exemple, le fait que l’angoisse existentielle n’existe qu’inscrite dans la dualité entre vie et mort – ce que révèle aussi la composition de l’œuvre.

 

« L’extase », pour Le Clézio, provient du dépassement de ce type de dualisme conceptuel. Hors de « l’infiniment moyen », le sujet narratif fait l’éloge de l’indifférenciation dans le prologue « L’extase matérielle » : « Quand je n’étais pas né » (EM, p. 9), et dans l’épilogue « Le silence » : « Quand je serai mort » (EM, p. 189). L’extase leclézienne, c’est l’état dans lequel « Rien de moi n’avait apparu » (EM, p. 10), où « chaque chose était fidèle » (EM, p. 14); et où les choses, dans un amas conceptuellement indifférencié, bien que changeantes, restent elles-mêmes. Le narrateur assimile cette extase à un état de « silence » (EM, p. 11) ou encore de « chaos » (ibid.), qui mène à la plénitude par l’appartenance à « la matière totale qui ne s’efface pas » (EM, p. 196) et qui garantit que « [l]a mort n’est plus haïssable » (EM, p. 193). Juste avant l’épilogue, « le silence » représentant le retour au chaos d’origine selon la cosmologie leclézienne, la logique binaire est sur le point de disparaître de façon apocalyptique :

 

Quand tout est apparu blanc et noir, quand toutes les forces du bien et du mal ont été découvertes menant leur terrible lutte simultanée, il n’est plus possible d’effacer ce spectacle. Abandonner sa vérité en cet instant, ce serait s’abandonner soi-même, se perdre à jamais, quitter sa langue, et sa vie. Renoncer à la contradiction n’est pas possible, car ce serait renoncer à vivre. Ce drame, lorsqu’il a commencé, ne peut que s’achever : par la mort. (EM, p. 182)

 

Dans cet épilogue de retour à l’illogisme ressenti comme plaisir, l’ego s’efface pour revenir à « l’étendue de la matière totale » (EM, p. 192) : « Ce qui a été silencieux revient au silence » (EM, p. 210). « Les mots sont abolis, et tous les papiers sont devenus blancs » (EM, p. 184), c’est-à-dire que la logique inhérente à une société s’effondre. Le Clézio, dans L’Extase matérielle, semble ainsi partager la notion d’illogisme développée par Nietzsche : « Certainement par l’illogisme dont primitivement le domaine a dû être immense » (1993, p. 216). Quête d’« une sortie du Moi » ou d’« une rentrée dans un Soi plus englobant » (Chung 2001, p. 105, p. 105-106), l’extase ne connaît pas l’influence de la société. Il n’y a pas de langue pour l’exprimer. L’illogisme, ou le chaos originel est « impossible à [...] comprendre » (EM, p. 10). Il est un plaisir transcendantal, fruit de la disparition de toute logique, « dans l’enchevêtrement extraordinairement précis » (ibid.) des sensations.

 

La question du langage

 

L’Extase matérielle aborde également la question du langage. En 1965, Le Clézio saluait l’inscription de Sartre qui a accepté les limites que lui imposait son appartenance à la communauté des êtres humains et à une société qu’il désire transformer. Le langage, avec ses limites, produit de la société, est un outil qui nous permet de « rest[er] en adhésion avec l’extérieur » (EM, p. 25). C’est ainsi que la vie se soumet donc à une vision partagée par la société, vision selon laquelle « les mots sont faits de la même substance que la réalité » (EM, p. 37). L’Extase matérielle donne la parole à un sujet narratif qui anéantit les oppositions par la « [p]reuve du blanc par le noir » (EM, p. 114) et affirme : « Détruire le langage, c’est détruire la vie » (EM, p. 140) ; « il n’y a pas deux réalités. Il n’y a que celle que nous concevons par le service de la langue » (ibid.). Dans ce cadre, la recherche d’originalité par le langage paraît ridicule : « Toute littérature n’est que pastiche d’une autre littérature » (EM, p. 88).

 

Par rapport à ce « langage », la vision hindoue dans la pensée de Le Clézio est manifeste dans l’épigraphe de L’Extase matérielle, où l’écrivain cite la Mundaka Upanishad des Védas : « Deux oiseaux, compagnons inséparablement unis, résident sur un même arbre ; l’un mange le fruit doux de l’arbre, l’autre le regarde et ne mange point » (EM, p. 3). Cet exergue offre « une parfaite allégorie du dédoublement de la conscience de conscience » (Chung 2001, p. 110), duquel la personne humaine s’enrichit. Tandis que L’Extase matérielle aborde la question du langage qui sous-tend « la gémellité de l’être » (EM, p. 66) s’approchant de « l’aboutissement des connaissances suprêmes » (EM, p. 103), cet essai montre comment l’image du monde, perçue par le langage logique, communie avec une matière totale, de façon phénoménologique, afin d’aboutir à « un indicible bonheur à savoir tout ce qui en l’homme est exact » (EM, p. 72). Masao Suzuki note : « Ces considérations sur l’attitude de Le Clézio envers le langage nous paraissent mettre en relief sa quête de conscience qui aboutit nécessairement à l’anéantissement de la conscience » (2007, p. 55). Une conscience rationnelle se dégage et révèle ainsi la conscience suprême. Le Clézio s’emploie donc implicitement à dépasser le dernier aphorisme du Tractatus Logico-Philosophicus de Wittgenstein : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence » (1974, p. 188-189, notre traduction), et à manifester une figure de cet état de « silence ».

Il est intéressant de remarquer que le prologue de l’essai, « L’extase matérielle », précise cette figure de la transgression des dualités, par la présentation des particules indifférenciées en mouvement sous des formes colorées : « Dans ce noir, dans ce blanc, où tout se mélange, où tout glisse, où tout est croisé, il n’est plus possible de choisir et de distinguer » (EM, p. 14). Cette déclinaison du dualisme en couleurs procède de la pensée de Parménide bien connue et appréciée du jeune Le Clézio, même s’il avouait dans un entretien ne pas bien le comprendre (Chalon 1963, p. 3). L’Extase matérielle fourmille de références indirectes, cryptiques à Parménide. La première cosmogonie de l’auteur est tout à fait empreinte du fragment 9 de De la nature de Parménide. « Lumière » et « nuit » qui structurent les « opinions des mortels » chez Parménide se retrouvent sous la forme du « noir » et du « blanc » chez Le Clézio (Otani 2023, p. 18-22). Le Clézio fait aussi référence implicitement au fragment 5 de Parménide : « Toujours, il faut retourner à la plénitude obscure et dense » (EM, p. 13) en une matière totale. Il s’agit de la « Vérité » au sens de Parménide. Du point de vue de l’auteur, les pratiques des individus rationnels, au sein de la société compétitive, s’orientent inexorablement vers une recherche du gain sur un schéma dyadique. Cela pousse l’auteur à la réflexion sur cette logique binaire :

 

Blanc, noir, noir, blanc, je dominais, j’imaginais que je dominais. Mon orgueil allait jusqu’à croire que mon raisonnement avait raison contre la réalité. Tant cette subtile élaboration de l’imaginaire, du langage ― parfois même à la limite de l’onirisme ― était, semblait-il, mon bien incontestable. Je croyais pouvoir faire ce que je voulais des mots, de mes mots. (EM, p. 60)

 

Le narrateur de L’Extase matérielle, que l’on retrouve dans le prologue et l’épigraphe de l’œuvre, espère se rapprocher de la Vérité.

 

Avec L’Extase matérielle, le jeune Le Clézio a donc souhaité proposer plusieurs manières de dépasser les conceptions rationnelles dyadiques qui, selon lui, caractérisent la civilisation occidentale. Ses ouvrages ultérieurs s’imprègnent de cette idée : Terra amata (1967) embrasse l’idée selon laquelle « l’infiniment moyen » et la mort peuvent être perçus comme un retour à la matrice amorphe. En outre, L’Extase matérielle inclut de multiples aspects harmonieux d’un point de vue bio-sémiotique : « [...] ce désir de communier avec la plus grande matrice matérielle et bio-sémiotique correspond aux formes de spiritualité indigènes et orientales » (Moser 2023, p. 7, notre traduction). Cette bio-sémiotique, Le Clézio la destine à la compréhension des voix d’autrui qui « [r]enou[ent] avec la terre extatique » (EM, p. 91). Comme le présentent les analyses de Miriam Stendal-Boulos (1999, p. 149-183) ou de Marina Salles (2007, p. 234-238), L’Inconnu sur la terre (1978) peut mener enfin à l’achèvement de cette démarche bio-sémiotique ainsi qu’à une définition tout à fait fructueuse de l’« extase matérielle ». Éric Fougère, dans son article intitulé « De L’Extase matérielle à L’Inconnu sur la terre : Qu’y a-t-il de changé chez Le Clézio ? », observe que « Tout change avec L’Inconnu sur la terre, où l’extatique est corrigé par une exactitude à considérer le monde achevé dans sa beauté parfaite » (2016, p. 125). Cette vision de la matière qui aboutit à l’éternité renvoie à une aspiration au bonheur et à une possible communication entre soi et autrui déjà présente en filigrane dans le personnage d’Adam Pollo.

 

 

Kenichiro Otani

(2024)

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

BALINT, Adina, Le processus de création dans l’œuvre de J.M.G. Le Clézio, Leiden, Brill, 2016 ; BEN SALAH BEN TICHA, Thouraya, Le détail et l’infime dans l’œuvre de Jean-Marie Gustave Le Clézio, Paris, L’Harmattan, 2014 ; BORDERIE, Roger, « Entretien avec J.M.G. Le Clézio », Les Lettres françaises, 27 avril-3 mai 1967, p. 11-12 ; CHALON, Jean, « J.M.G. Le Clézio, philosophe de 23 ans, avoue : “Je suis paresseux” », Le Figaro littéraire, 21-27 novembre 1963, p. 3 ; CHUNG, Ook, Le Clézio, une écriture prophétique, Paris, Imago, 2001 ; FOUGÈRE, Éric « De L’Extase matérielle à L’Inconnu sur la terre : Qu’y a-t-il de changé chez Le Clézio ? », in Thierry LÉGER et Fredrik WESTERLUND (dir.), La violence dans les premières œuvres, Caen, Passage(s), coll. « Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio », numéro 9, 2016, p. 125-136 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Procès-verbal, Paris, Gallimard, 1963 ; « Sur Henri Michaux – Fragments », Les Cahiers du Sud, n° 380, 1964, p. 262-269 ; La Fièvre, Paris, Gallimard, 1965 ; L’Extase matérielle, Paris, Gallimard, 1967 ; MOSER, Keith, « A Biosemiotic Reading of J.M.G. Le Clézio’s Fiction: (Re-)Envisioning the Complexity of Other-Than-Human Semiosis and Trans-Specific Communication », Green Letters, 5 avril 2023, https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14688417.2023.2199017 (consulté le 30 avril 2024) ; NIETZSCHE, Friedrich Wilhelm, Le Gai Savoir, traduit de l’allemand en français par Henri Albert, Paris, La Libraire Générale Française, 1993 ; OTANI, Kenichiro, « The Predilection for White and Black in Le Clézio’s Early Works », Journal of Comparative Literature and Aesthetics, vol. 46, n° 4, 2023, p. 12-24 ; ROUSSEL-GILLET, Isabelle, J.M.G. Le Clézio : écrivain de l’incertitude, Paris, Ellipses, 2011 ; SALLES, Marina, Le Clézio : Notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006 ; Le Clézio, « Peintre de la vie moderne », Paris, L’Harmattan, 2007 ; STENDAL-BOULOS, Miriam, Chemins pour une approche poétique du monde : le roman selon J.M.G. Le Clézio, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 1999 ; SUZUKI, Masao, J.-M.G. Le Clézio : Évolution spirituelle et littéraire. Par-delà l’Occident moderne, Paris, L’Harmattan, 2007 ; WITTGENSTEIN, Ludwig, Tractatus Logico-Philosophicus, London, Routledge and Kegan Paul, 1974.