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Le Morne Brabant est une montagne basaltique de 555 mètres située à la pointe sud-ouest de l’île Maurice. Site majestueux en raison de son élévation abrupte au milieu du cap où il se trouve, Le Morne occupe une place particulière dans l’histoire et l’imaginaire de l’île. Ses flancs escarpés, qui le rendent difficile d’accès, comportent des grottes en surplomb qui étaient devenues des refuges d’esclaves fugitifs durant la période de l’esclavage. Des fouilles archéologiques y ont retrouvé des vestiges de leur installation et le site a été classé patrimoine mondial de l’UNESCO depuis juillet 2008.
Un des mythes locaux se rattachant au Morne évoque l’épisode tragique où, cernés par des chasseurs de marrons, des esclaves en fuite préférèrent se jeter du haut de la falaise plutôt que d’être repris. La version la plus répandue aujourd’hui relate qu’après l’abolition de l’esclavage en 1835, ce serait une troupe britannique qui aurait réussi à escalader Le Morne pour apporter l’heureuse nouvelle aux esclaves marrons mais ces derniers, croyant qu’il s’agissait de la milice venue les arrêter, s’étaient résolument précipités dans le vide. Dans les deux variantes, les marrons avaient choisi la mort plutôt que l’asservissement. Le Morne Brabant est ainsi devenu dans l’imaginaire populaire mauricien le symbole de la résistance farouche à l’esclavage. Il est à noter d’ailleurs que le topos du morne comme refuge de marrons existe dans diverses îles où a sévi l’esclavage, telles les Antilles ou La Réunion.
Lieu de mémoire du marronnage, « sphinx éternel/témoin immuable » (Assonne, 32), Le Morne figure de manière plus ou moins importante dans de nombreux textes littéraires. Dans Le Chercheur d’or, ce lieu est évoqué à plusieurs reprises. Lors de sa première randonnée en mer en compagnie de son ami Denis, Alexis découvre l’aspect épuré du Morne à partir de la pleine mer : « Je ne l’ai jamais vu d’aussi près. Le Morne est dressé au-dessus de la mer, pareil à un caillou de lave, sans un arbre, sans une plante. Autour de lui s’étendent les plages de sable clair, l’eau des lagons. » (CO, 51) Suit une scène d’ordre foncièrement initiatique où Alexis, ébloui par la chaleur et le soleil, est pris de vertige et doit s’allonger sur la plage au pied du Morne à l’endroit mythique où les marrons avaient trouvé la mort. Denis qui, rappelons-le, est petit-fils d’esclave, reste à ses côtés, calme, patient et silencieux. Alexis reprend ses esprits au milieu de la nature grandiose où « le rocher brûlé du Morne, pareil à un château peuplé d’oiseaux de mer » (CO, 53) lui sert de génie tutélaire. Le site inspire également à Alexis une comparaison avec l’île déserte de Robinson.
Le Clézio choisit dans ce roman d’enchevêtrer des éléments de deux mythes, celui des marrons du Morne et celui de Sacalavou. Dans L’Isle de France légendaire, Hervé de Rauville raconte que Sacalavou (Son nom indique ses origines : Sakalava est le nom d’un des grands groupes ethnico-culturels de Madagascar) était le chef d’une bande d’esclaves marrons qui se cachaient sur la montagne du Pouce et qui attaquaient et tuaient sauvagement les colons. Sacalavou y fut à son tour tué par un esclave resté fidèle à son maître et jeté au fond d’un abîme. Selon la légende, l’âme de Sacalavou continue à hanter les lieux en poussant des gémissements. La première mention de Sacalavou dans Le Chercheur d’or le place dans les montagnes entourant les gorges de la Rivière Noire mais lui attribue en même temps la mort héroïque des marrons du Morne : « C’est la première fois qu’il me parle de Sacalavou. Mon père nous a dit une fois qu’il était mort ici, au pied des montagnes, quand les Blancs l’avaient rattrapé. Il s’est jeté du haut de la falaise, plutôt que d’être repris. » (CO, 39) Ensuite Sacalavou est directement associé au Morne lorsqu’Ouma raconte la punition infligée à son grand-père pour avoir marronné : « Mon grand-père était marron, avec tous les noirs marrons du Morne. Il est mort quand on a écrasé ses jambes dans le moulin à cannes, parce qu’il avait rejoint les gens de Sacalavou dans la forêt. » (CO, 228) Tout en reprenant le motif des gémissements de Sacalavou, Le Clézio modifie finalement et avec une grande dextérité le mythe du suicide des marrons du Morne en meurtre délibéré commis par les colons. « Je me souviens de ce que disait Cook, quand le vent résonnait dans les gorges. Il disait : « Ècoute ! C’est Sacalavou qui gémit, parce que les Blancs l’ont poussé du haut de la montagne ! C’est la voix du grand Sacalavou ! » (CO, 328).
Kumari Issur
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ASSONNE, Sedley Richard, Le Morne, territoire marron !, Rose-Hill (Maurice) Ed. de la Tour, 2002 ; FANCHIN, Gérard, « Préface », in ASSONNE, Sedley Richard Assonne, Le Morne, territoire marron !, op. cit., p. 4-7 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard, coll « Folio », 1985 ; LOWE, Candice Marie, « The Myth of Maroons and the Sacred Geography of Le Morne », in LOWE et al. (dir.), Le Morne Cultural Landscape. History, Symbolism and Traditions, Port-Louis (Maurice), Le Morne Heritage Trust Fund, 2010, p. 63-87 ; MOSS, Roger, Le Morne, Port-Louis (Maurice), Ledikasyon pu travayer, 2000 ; NAGAPEN, Amédée, Le Marronnage à l’Ile de France-Ile Maurice. Rêve ou riposte de l’esclave, Port-Louis (Maurice), Centre Culturel Africain, 1999 ; NORA, Pierre, Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, Coll. « Quarto », 1997 ; RAUVILLE, Hervé de, L’Île de France légendaire, Paris, Challamel éditeurs, 1889.
© Photo : Kumari Issur