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Le Bassin du Niger. Source:http://www.abn.ne
Géographie
Avec ses presque 4 200 kilomètres, le fleuve Niger, le troisième par sa longueur du continent africain, décrit une grande boucle depuis les montagnes du Sierra Leone, d’où il coule vers le nord-est, s’ouvre dans le « delta intérieur » où il perd presque la moitié de ses eaux, avant de traverser Tombouctou en passant par le Mali. En amont de Gao, il dévie vers le sud-est, pour se diviser en un grand delta au Nigeria, où il se jette dans l’océan Atlantique. Il parcourt ainsi le Sierra Leone, la Guinée, le Mali, le Niger en côtoyant le Bénin et le Nigeria. Le fleuve a donné son nom aux états du Niger et du Nigéria. L’origine du nom de ce « fleuve des fleuves » est incertaine.
Aujourd'hui en réel danger en raison de la pression démographique, de l'activité humaine, du changement climatique, le Niger est la principale source d'approvisionnement en eau pour des millions de personnes, contribuant à leurs besoins pour l'agriculture, l'élevage, la pêche, le transport des biens et des personnes. Douze ponts, dont une partie sont des barrages à destination hydroélectrique ou pour des fins d’irrigation, enjambent le fleuve.
Histoire
Les géographes ont mis longtemps à découvrir le parcours du fleuve. À l’époque de Pline, on a connaissance d’un fleuve qui sépare la province romane d’Afrique – grosso modo l’actuelle Afrique du nord – de l’Éthiopie, à savoir l’Afrique noire. Au XIVe siècle, Ibn Battûta suit le Niger jusqu’à Tombouctou, mais, ignorant aussi bien la source que l’embouchure du fleuve, comme bien d’autres, il le confond avec le Nil. Le siècle suivant, les Portugais, qui s’intéressent avant tout à la topographie du littoral africain, considèrent le Niger comme l’amont du fleuve Sénégal. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les géographes comprennent que le Niger n’est pas le Nil et que, coulant vers le nord-est, ce ne peut être le Sénégal non plus. Parmi les explorateurs européens, Alexander Gordon Laing localise sa source au pied des Monts Loma, à Sierra Léone ; René Caillié revient vivant de Tombouctou où il a pris connaissance du fleuve ; puis Mungo Park le descend sur 1 600 kilomètres. Il y trouve la mort en ayant défié et suscité l’irritation des peuples riverains. Adolphe Burdo, pour sa part, le remonte jusqu’à sa jonction avec son affluent principal, le Bénoué, au Nigéria actuel.
Depuis 1980, le Niger est régi par l’Autorité du Bassin du Niger, organisme intergouvernemental comprenant neuf états membres. La coopération a pris forme au lendemain des indépendances, avec la signature de l’Acte de Niamey relatif à la Navigation et la Coopération économique entre les États du bassin du Niger en 1963.
Le Niger dans l’œuvre leclézienne
Le Niger est présent principalement dans deux ouvrages. Dans le roman Onitsha qui raconte le voyage en Afrique du jeune Fintan et de sa mère pour retrouver le père, médecin de brousse à Onitsha, le fleuve est un élément essentiel du paysage. Comme l’a montré Madeleine Borgomano, il sert de motif organisateur au récit entier, ne serait-ce que par son omniprésence : le mot y figure 248 fois, dont 22 avant que les voyageurs n’aient même vu le Niger. Il réapparaît dans le texte de L’Africain, biographie consacrée à son père, responsable du dispensaire à Ogoja, « le seul médecin au nord de la province de Cross River » au Nigéria actuel, et dans les photos de Raoul Le Clézio qui illustrent le livre.
Les deux ouvrages s’inscrivent dans le contexte du colonialisme et des sentiments contrastés qu’il suscite. Dans L’Africain, l’auteur fait référence au Voyage au Congo d’André Gide pour décrire la vision du monde qui règne à l’époque où son père s’installe au Nigéria. Onitsha a bien des points communs avec le Voyage au cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Dans les deux textes, la remontée physique du fleuve se transforme en un voyage initiatique dévoilant une réalité peu glorieuse derrière le discours officiel des bienfaits du colonialisme vis-à-vis des autochtones.
Le Clézio décrit les péripéties de son père « depuis l’enthousiasme du commencement, la découverte des grands fleuves, le Niger, le Bénoué, jusqu’aux hautes terres du Cameroun » (A, 55). On y trouve le George Shotton, du nom du consulat du fleuve, « qui remontait le Niger » et le Benoué. Dans Onitsha, ce vapeur cuirassé et armé en canonnière, « l’orgueil de l’Empire », n’est plus qu’une épave échouée sur l’îlot Brokkedon (toponyme que l’on peut associer à l’expression anglaise « broke down », en panne) au milieu du fleuve : emblème de l’enlisement du système colonial.
À la fin du roman, l’auteur dénonce le néocolonialisme en faisant référence à la guerre et à la famine du Biafra. Il évoque le conflit lié à l’exploitation du pétrole entre les entreprises multinationales âpres au gain et les peuples du fleuve, représentés par Oya et Okawho, qui ne demandent qu’à vivre en paix avec la nature.
Les deux ouvrages sont imprégnés par les mythologies du fleuve : d’abord la sacralité des termitières est ancrée dans le mythe du dieu termite comme créateur des fleuves au début du monde, et comme gardien de l’eau. Dans Onitsha figure la cosmogonie des Yoruba, avec « Eze Enu qui vit dans le ciel, Shango qui jette l'éclair, et les deux premiers enfants du monde, Aginju et sa sœur Yemoja, dont la bouche a fait naître l'eau des fleuves » (O, 223). La déesse maternelle des eaux est incarnée en la personne d’Oya, « le corps même du fleuve, l'épouse de Shango. Elle est Yemoja, la force de l'eau, la fille d'Obatala Sibu et d'Odudua Osiris » (O, 168). Grâce à elle, Fintan se voit initié aux mystères de la naissance et de la sexualité.
Comme pour d’autres fleuves, Le Clézio instaure entre le Niger et la mer – « il est vaste comme la mer » (O, 210) – un parallèle explicite que Madeleine Borgomano analyse, à partir de l’homophonie mer-mère, comme ce qui scelle le pacte entre Oya, la déesse maternelle, et le fleuve, symbole de l’éternel retour. Le fleuve en général est l’espace de la naissance, et le Niger représente l’élément liquide, « l’élément premier de la poétique leclézienne, la matière par laquelle l’Être peut renaître. » (Pien, 2004, 259 ; 201)
En Oya convergent également la cosmogonie des Yoruba et la mythologie égyptienne, car la jeune femme emprunte les traits à la Candace de Meroë, la reine du royaume situé au Soudan actuel, aux bords du Nil. Geoffroy, le père de Fintan, souscrit à l’ancienne idée d’une possible communication entre le Nil et le Niger voire à une source commune aux deux fleuves. Derrière les idées du père de Fintan, on entrevoit les travaux de M. D. W. Jeffreys, un ami du père de l’auteur, à qui le roman est dédicacé. La liaison avec le Nil est une des raisons pour lesquelles Le Clézio a choisi de situer le récit sur le Niger, un lien renforcé par les passages du Livre des Morts intercalés au cours du texte.
À l’instar de tout autre fleuve dans l’œuvre leclézienne, le Niger représente une vaste étendue sans commencement ni fin perceptible. Le fleuve est « la voie vers l’autre versant du monde » (O, 118), aussi bien dans un sens géographique puisqu’il réunit l’Onitsha des personnages du roman éponyme avec des pays lointains, que dans le sens où le fleuve permet l’accès à un lointain mythologique, notamment l’Égypte ancienne, en dehors des réalités terrestres. De même, la pensée de l’infinitude est appliquée au temps, étant donné que le fleuve est contemporain du commencement du monde : « Sabine Rodes disait que c'était le plus grand fleuve du monde, parce qu'il portait dans son eau toute l'histoire des hommes, depuis le commencement. » (O, 105). Le Niger ne cessera de couler : « Le temps n'a pas de fin, comme le cours du fleuve. » (O, 216). La présence du cours d’eau lent et majestueux provoque une altération dans la perception du temps de Fintan, de Maou. Tout se passe comme si, par le relais du fleuve, le temps s’immobilisait dans un présent indéfini.
Dans son œuvre littéraire, Le Clézio a réussi à transmuer le fleuve Niger bien réel en un symbole de l’idée de l’universel, tout en gardant le récit ancré dans les enjeux sociaux et concrets de la vie sur ses bords. De cette combinaison résulte la profondeur toute particulière de l’écriture leclézienne.
Fredrik Westerlund
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
L’Autorité du bassin du Niger, http://www.abn.ne/; BORGOMANO, Madeleine : Onitsha. Parcours de Lecture, Paris, Bertrand-Lacoste, 1993 ; LE CLÉZIO, Jean-Marie Gustave : L’Africain, Paris, Mercure de France, 2004 ; Onitsha, Paris, Gallimard, 1991 ; PARK, Mungo : Travels in the Interior Districts of Africa, réd Kate Ferguson Masters, Durham and London, Duke University Press, 2000 ; PIEN, Nicolas : Le Clézio, la quête de l’accord originel, Paris, L’Harmattan, 2004 ; WESTERLUND, Fredrik : Les fleuves dans l’œuvre romanesque de Jean-Marie Gustave Le Clézio, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Helsinki 2011, en ligne sur https://helda.helsinki.fi/bitstream/handle/10138/27640/lesfleuv.pdf.
Biafra (guerre du) ; Fintan ; Onitsha.