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Jeu ritualisé de questions et réponses propre à de nombreuses cultures orales. Apparentées au « Titim ? Bois sec ! » des Antillais ou possiblement au hain teny des Merinas du haut plateau malgache, les sirandanes sont la forme typiquement mauricienne d’un art propagé dans l’île depuis l’esclavage, letan margoz.
Genre de devinette qui porte sur la vie quotidienne et que tout le monde connaît, la sirandane date de la période coloniale française (1715-1810), son émergence étant probablement fortement liée à celle de la langue créole. La sirandane amusait les esclaves lors des veillées tout en faisant paraître leur humour sur leur condition, voire leur malice envers leurs maîtres. À Maurice, les sirandanes permettent à tout un peuple, de se souvenir : de ses origines, du choc des cultures qui a fait naître le pays, des affres de l’esclavages comme des éléments de sagesse tutélaire émanant de la mémoire culturelle des ancêtres. Elles jouent ainsi un rôle important dans la transmission de la mémoire, d’un certain imaginaire, et de certains savoirs locaux jugés marginaux parce que non-écrits. Cette forme d’expression orale permet aussi aux Mauriciens, quelle que soit leur origine, d’appartenir à un seul et même peuple. Tout comme le créole est une langue sans frontière, tout comme la culture créole a su condenser le meilleur de nombreux mondes pour se créer un espace créatif et créateur, le monde des sirandanes rallie la verve française de jouer avec les mots à l’animisme africain et à l’environnement local : marqué par l’imaginaire fantastique des contes et légendes, l’univers des devinettes brouille les frontières entre l’humain, l’animal, la flore et le royaume des esprits. La sirandane est, par définition, créole.
Par tradition, le conteur prend la parole et lance le traditionnel « Sirandanes », auquel l’assemblée répond en chœur « Sanpek ». Un dialogue est engagé, une connivence s’installe. Le conteur a en face de lui non plus un simple spectateur mais un acteur qui s’engage, par sa réponse, à écouter attentivement d’abord, mais aussi à prendre part au rituel de l’échange. C’est le fondement même de la sirandane, prélude souvent à une plus longue histoire ou une légende partagée par le conteur.
Il est impossible de parler de sirandanes sans mentionner Charles Baissac, dont Le folklore de l’Ile Maurice contient 29 pages consacrées aux sirandanes, écrites dans le créole francisé de l’époque : des sirandanes encore connues des Mauriciens, comme certaines aussi qui sont moins habituelles. La nation mauricienne lui doit beaucoup pour avoir pensé à compiler les contes, légendes, sirandanes et chansons propres à son patrimoine. Déjà, dans sa préface, il se lamente du fait que son ouvrage arrive 50 ans trop tard et parle d’un inventaire « post mortem » (iv) reçu de deux vieux, « Ppâ Lindor et mmâ Télésille » dont la « mémoire n’est [plus] la qualité maîtresse » (ix), alors que la langue a déjà évolué et que l’histoire du pays a influencé/transformé le folklore. À titre d’exemple, notons la sempiternelle « Dilo dibout ? Kann » et une moins connue, surtout dans le contexte moderne : « Ena kat frer, de gran de piti. Zot tou galoupe ensam, piti divan zame gran kapav gagn zot ? So kat larou enn kales » (il y a quatre frères, deux grands et deux petits. Ils courent tous ensemble, les deux petits devant ; jamais les grands ne peuvent les rattraper ? Les quatre roues d’une calèche).
En 1990, J.-M.G. et Jemia Le Clézio ont rassemblé un livret de sirandanes, dédié à « Marie-Michèle de Blue Bay » et suivi d’un petit lexique des oiseaux de Maurice, qui comprend par ailleurs une demi-douzaine de régionalismes (provenant des diverses langues du pays). La préface reprend la lignée culturelle des devinettes sous divers horizons pour en souligner la fonction de mémoire et d’appartenance. Sensiblement les mêmes que celles que connaissent les Mauriciens et qu’a compilées M. Baissac, avec une traduction qui suit de près la traduction traditionnelle français-créole, les sirandanes recueillies par J.-M.G. et Jemia Le Clézio sont illustrées par des aquarelles de J.-M.G. Le Clézio (oiseaux, paysages stylisés de l’île) ainsi que des reproductions de broderies malgaches traditionnelles. D’autres livres de sirandanes ont été également publiés, comme par exemple les 220 Sirandanes Sampek de l’Île Rodrigues par Chantal Moreau, en versions française et créole, comme de tradition. Nous trouvons là des sirandanes plus modernes puisqu’elles font référence, entre autres, à la radio ou au moteur de voiture. Il est intéressant de ce fait, de remarquer l’évolution des sirandanes, de l’humour – et des préoccupations – de la population ainsi que l’évolution du créole lui-même, qui tend aujourd’hui à se stabiliser dans une nouvelle graphie qui l’éloigne du français.
Eileen Lohka
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BAISSAC, Charles, Le Folklore de l’Ile Maurice, Paris, Maisonneuve et Leclerc, 1888 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. et Jemia, Sirandanes suivies d’un petit lexique de la langue créole et des oiseaux, Paris, Seghers, coll. « Volubile », 1990 ; MOREAU, Chantal, 220 Sirandanes Sampek de l’Île Rodrigues, Île Maurice, Collection « le Solitaire », Roches Brunes, 1999 ; ROUSSEL-GILLET Isabelle, Le Clézio, écrivain de l’incertitude, Paris, Ellipses, 2011 ; LOHKA Eileen, « Insaisissable et multiforme : L’art de J.-M.G. Le Clézio », in Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet, Marina Salles (dirs), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Rennes, PUR, 2010, p. 29-42.