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Saint-Aubin-du-Cormier est une commune de Bretagne, située à une trentaine de kilomètres de Fougères et une vingtaine de Rennes. En venant de Fougères, on aperçoit la ville qui se dresse sur sa colline assez haute (110 mètres) et en particulier l’église de style néo-roman. À un kilomètre au nord-ouest de Saint-Aubin-du-Cormier, sur une lande voisine du bois d’Uzel, il existe un lieu de mémoire, rappelant la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, entre les troupes du roi de France et l’armée de François II, duc de Bretagne.
En bordure de route, un monument, élevé en 1988, rend hommage à tous les combattants morts à Saint-Aubin-du-Cormier :
« À gauche, une inscription en allemand, surmontée de l’aigle, rappelle le souvenir des 800 soldats du Saint-Empire sous les ordres du capitaine Blair (Blaire, Bhler), qui succombèrent ici pour la Bretagne ; au centre deux inscriptions, placées sous les hermines bretonnes, sont dédiées “ aux 6 000 combattants bretons/ Morts en ce lieu /Pour l’indépendance et l’honneur de la Bretagne. Le 28 juillet 1488 Souvenons-nous ! ” (Evit ar 6 000 emganner brezhon a zo marvet aman. Evit frankiz Hag enor Breizh D’an 28 vet a viz Gouere 1 488. Dalc’homp sonj.) Et “ aux 3 500 combattants gascons, basques et espagnols qui versèrent leur sang pour la défense de la nation bretonne ”. À droite, enfin, le texte en anglais est consacré « aux 500 archers anglais qui versèrent leur sang sous les ordres de Talbot, comte de Scales. » (11 batailles qui ont fait la Bretagne, Gallicé, Le Page, 2015, 128)
Il y a un monument plus ancien dans le bois d’Uzel, qui fut érigé par les membres du Parti national breton en 1926 et complété en 1932 par une plaque, portant une inscription en breton, qui se traduit ainsi : « Les Français vainqueurs des Bretons, le 28 juillet 1488. Gardons-en la mémoire. » Le texte français insiste sur le sacrifice des 6 000 Bretons « morts pour défendre l’indépendance bretonne ».
Clichés Emile Kerjean
Saint-Aubin-du-Cormier s’inscrit dans un contexte marqué par une tension croissante entre le royaume de France et le duché de Bretagne dirigé par les princes de la famille des Montfort. Le roi Louis XI s’était juré d’annexer la Bretagne à son royaume. C’était « un personnage autoritaire, d’un despotisme violent, implacable » (Histoire de Bretagne, Henri Poisson, 199). Il cherchait par tous les moyens à affaiblir l’autorité ducale, à laquelle il reprochait de ne pas rendre hommage au roi comme il le fallait. La lutte restera un certain temps sur le plan juridique, avant de passer à l’action militaire. La situation du duché de François II est rendue difficile non seulement par l’absence de descendance masculine, mais aussi par la personnalité du duc lui-même, son pouvoir féodal et la pression de son entourage.
Dans sa cour, deux tendances s’affirment et opposent ceux qui, comme le chancelier Chauvin, veulent trouver des compromis avec le roi, et ceux qui, tel le trésorier général Pierre Landais, « veulent assurer la paix par la mise en œuvre d’une politique pleinement autonome et indépendante vis-à-vis de la France » (Gallicé, Le Page, 2015, 80). Landais est arrêté et exécuté. Un triumvirat de conseillers (maréchal de Rieux, le prince d’Orange et Odet d’Aydie) lui succède, qui signe un traité de paix avec la France à Bourges, le 9 août 1485, ce qui n’empêche pas le pouvoir ducal de continuer à lutter pour l’autonomie. Les deux filles de François II sont reconnues héritières ducales. On se cherche des alliances. Il y aura un projet d’union entre le duc d’Orléans et Anne de Bretagne. Mais le duc d’Orléans, qui n’a pas obtenu la régence, exercée désormais par Anne de Beaujeu à la mort de son père, le roi de France Louis XI, va rejoindre des nobles, « les mécontents de France » en Bretagne, offrant un prétexte au pouvoir royal pour une intervention dans le duché. L’armée royale, l’une des plus modernes du temps, entre dans le duché, prend des villes (La Guerche, Redon, Vannes, Ploërmel, Dol, Auray, Vitré, Saint-Aubin). Le duc d’Orléans et le duc de Bretagne sont condamnés pour lèse-majesté et autres grands crimes, mais laissés en liberté.
Une autre guerre a donc lieu en 1488. Le maréchal de Rieux change de camp et rejoint le duc de Bretagne. Les opérations militaires sont plus favorables à l’armée ducale avec la reprise de villes comme Auray, Ploërmel, mais les troupes royales se concentrent sous le commandement de La Trémoïlle « qui résolut de conquérir la Bretagne par la soumission de toutes les places-fortes de l’est. Le 23 avril, Châteaubriant tombait, puis Ancenis (19 mai). Le 12 juillet, c’était le tour de Fougères, après huit jours de siège et le 28 juillet avait lieu ce qui deviendra la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier » (Poisson, Le Mat, 2000, 205). Au lieu de fondre sur l’armée royale en marche vers la Lande de la Rencontre, l’armée ducale reste sur place, prête pour une bataille rangée. Le bilan est lourd, « le plus grand carnage qui soit survenu de mémoire d’homme », estime Charles VIII (Gallicé, Le Page, 2015, 108).
La défaite de Saint-Aubin est une étape importante vers la soumission de la Bretagne au roi de France. L’armée royale prend Dinan puis Saint-Malo. Le duc de Bretagne obtient d’envoyer une ambassade à Angers pour demander la paix. « Le 19 août 1488, par le traité du Verger, il s’engage à renvoyer les étrangers impliqués dans la guerre », promet de rendre hommage au roi le plus tôt possible, de ne pas marier ses filles sans le consentement royal. Le roi s’engage à retirer ses troupes, à restituer les villes conquises : Saint-Malo, Dinan, et Saint-Aubin-du-Cormier, tant que la question des droits du duc de Bretagne n’est pas tranchée. Le traité du Verger sera ratifié par le duc de Bretagne, le 31 août : « Trois années seront nécessaires pour que, à la suite de nouvelles campagnes militaires, une solution soit trouvée sous la forme d’un mariage entre Charles VIII, jeune frère d’Anne de Beaujeu et Anne de Bretagne. » (ibid., 2015, 181)
Si Le Clézio conduit Jean Marro à Saint-Aubin-du-Cormier, en juillet 1968, sur les traces de Jean-Eudes Marro, son ancêtre breton, combattant révolutionnaire, c’est en premier lieu pour répondre à un devoir de mémoire, à la fois parce qu’il a des liens personnels avec cette histoire et que c’est une date importante dans l’histoire de la Bretagne. Marro demande la direction de la Lande de la Rencontre à des hommes dans un bistro. Il constate leur ignorance sur ce lieu marquant pour la nation bretonne, ignorance paradoxale pour des locaux : « Ça ne les intéressait pas. Ils ne pouvaient pas imaginer qu’ici, dans ce coin tranquille, le 28 juillet 1488 l’histoire de leur pays a changé [...] Ici, dans la journée du 28 juillet 1488, après un combat acharné, les Bretons ont perdu leur indépendance. » (R, 536)
Le Clézio tire une leçon de ce pèlerinage de Jean Marro : « [...] Jean a marché sur la terre imprégnée du sang des soldats massacrés. Entre les arbres, à l’autre bout de la Lande d’Ouée, brille l’eau du marécage. Le soleil est très doux en cette fin d’après-midi, comme il a dû l’être au soir de la bataille. [...] Un oiseau solitaire lance son cri monotone qui troue le silence d’un ui ? ui ? Le silence recouvre la lande, le silence recouvre l’histoire. » (R, 568)
Il faut rompre le silence.
Le Clézio fait partie des rares personnes qui évoquent cette tragique journée et le carnage : « C’est ici, au cœur de la forêt, que tout a été terminé. S’en est suivi l’effondrement économique et moral de la Bretagne. Le pays avait vécu libre, commerçant avec ses alliés du nord, l’Angleterre, l’Allemagne et avec l’Espagne, le Portugal […]. Après cette bataille, la Bretagne est devenue une terre soumise, corvéable, la partie la plus lointaine et la plus abandonnée du royaume qui l’avait conquis. » (R, 537-538) « Il n'y a pas eu de véritable “effondrement économique” de la Bretagne, après 1488, mais des difficultés consécutives à la conquête et aux destructions. L'économie bretonne est très prospère jusqu’à la fin du XVIIème siècle, avec notamment une industrie toilière très active. » (cf. Le Page, correspondance avec E. Kerjean, 11 janvier 2017)
Cependant ce pèlerinage à Saint-Aubin-du-Cormier est l’occasion pour Le Clézio de décrire les conditions de vie épouvantables dans la région de Rennes, à l’époque où Jean-Eudes Marro la traversa ; « En voyant les enfants affamés et en haillons du ruisseau des Créoles », à l’Isle de France, il repense à ces enfants de Bretagne qu’évoquait un témoin, l’Anglais Arthur Young, dans sa relation de voyage : « Enfants affamés courant pieds nus le long des chemins pour mendier une croûte de pain, vieillards mourant de faim » (R, 537-538). Le Clézio avait montré clairement, un peu plus avant dans son roman, combien les difficultés de la vie en Bretagne, à Lorient et sur les rives de l’Ellé, au moulin de Runello, avaient été déterminantes, avec les épisodes sanglants de cette période embrasée, dans le départ de Jean-Eudes Marro et de son épouse Marie-Anne : « La ville de Lorient et les faubourgs avoisinants étaient remplis de mendiants, beaucoup de vieillards et d’enfants, vêtus de haillons troués qui s’amassaient sous les porches et entraient dans les cours des maisons. » (R, 183)
Finalement, Le Clézio qui affirme « être un Breton qui aurait perdu une part de sa bretonnité » (Kerjean, 2014, 17), retrouverait-il, tel Joël Cornette, cette « bretonnité », en restaurant la mémoire de cet épisode qui « montre qu’il y a une identité bretonne à l’intérieur de la France et que cette identité est irréductible » (Cornette, 2010) ? Ce qui n’empêche pas l’écrivain franco-mauricien, ardent défenseur de l’interculturel, fondateur avec Issa Asgarally de la FIP (Fondation pour l’Interculturel et la Paix), de vivre « de manière apaisée », selon l’expression de Joël Cornette, une « triple identité ».
Émile Kerjean
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BOUCHERON, Patrick, Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil 2017 ; CORNETTE, Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons, Paris, Seuil, 2005 ; Le Télégramme de Brest, 2 janvier 2010 ; GALLICÉ, Alain et LE PAGE, Dominique, 11 batailles qui ont fait la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2015 ; LE CLÉZIO J.-M.G., Révolutions, Paris, Gallimard, 2003 ; LE SCOUËZEC, Gwenc’hlan, Guide de la Bretagne mystérieuse, Paris, Éditions Princesse, 1982 ; KERJEAN, Émile, Le Clézio et la Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, n°69, 2014 ; Le Clézio est Univers, Morlaix, Skol Vreizh, 2015 ; POISSON, Henri, LE MAT, Jean-Pierre, Histoire de Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2000.
Bretagne ; Langue bretonne.