- Avant-propos
- Oeuvres
-
- Romans
- Nouvelles et textes brefs
-
- « AMOUR SECRET »
- « ANGOLI MALA »
- « ARBRE YAMA (L') »
- « ARIANE »
-
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) » - « ÉCHAPPÉ (L’) »
- « FANTÔMES DANS LA RUE »
- « GÉNIE DATURA (LE) »
- « GRANDE VIE (LA) »
- « HAZARAN »
- « IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
- « L.E.L., DERNIERS JOURS »
- « MARTIN »
- « MOLOCH »
- « ORLAMONDE »
- « PASSEUR (LE) »
- « PAWANA »
- « PEUPLE DU CIEL »
- « RONDE (LA) »
- « ROUE D’EAU (LA) »
- « SAISON DES PLUIES (LA) »
- « TEMPÊTE »
- « TRÉSOR »
- « VILLA AURORE »
- « ZINNA »
- Essais
- Personnages
- Lieux
- Lexique
-
- BIAFRA (GUERRE DU)
- CANNE À SUCRE
- CHAUVE-SOURIS
- CIPAYES (RÉVOLTE DES)
- COSTUMBRISME
- CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
- DODO (LE)
- ÉCOLOGIE
- FLORE (Maurice)
- HINDOUISME
- LANGAGE DES OISEAUX (LE)
- LANGUE BRETONNE
- LOUVRE (LE)
- MURALISME
- OISEAUX (MAURICE)
- PROSE POÉTIQUE
- SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
- SANDUNGA
- SIRANDANE
- SOUFISME
- Bibliographie et abréviations
- Auteurs
Après une quinzaine d’années de production d’œuvres fictionnelles avant-gardistes, Le Clézio connaît un « moment poétique » amorcé par Voyages de l’autre côté (1976) et Mondo et autres histoires (1978), qui s’épanouit dans les romans Désert (1980), qualifié de « roman-poème » (Borgomano, 1992, 89), et Le Chercheur d’or (1985). Si dans le même temps, l’œuvre leclézienne s’inscrit dans le mouvement général de « retour des normes romanesques » qui caractérise les fictions françaises à partir des années 1980, le récit poétique en revanche n’est pas un phénomène caractéristique de cette période dans l’histoire de la littérature française.
La prose poétique a pris son essor à l’époque pré-romantique, mais au XIXe siècle la distinction entre poème en prose et prose poétique n’est pas encore théorisée. C’est un phénomène qui relève de l’hybridation des genres et touche en particulier la phrase. Elle est « caractérisée par la réunion d’au moins plusieurs des déterminations suivantes ; vocabulaire recherché, parfois suranné ou exotique ; certaines antépositions d’adjectifs qualificatifs épithètes ; jeu sur l’abstrait et sur le nombre ; importance des figures ; faits de prose cadencée » (Mazaleyrat et Molinié, 1989, 269).
Elle consiste en premier lieu en une structure phonique sophistiquée du vocabulaire. Dans Le Chercheur d’or, ce sont des noms propres empruntés à la mythologie, ainsi « le navire Argo » (58 et passim) qui fait référence à l’histoire du grec Jason, ou « Sodome et Gomorrhe » (56), renvoyant à l’intertexte biblique. Les termes exotiques récurrents participent également de la veine poétique, en particulier « varangue » et « filaos », ainsi que des noms propres de lieux tels « Tamarin » et « Mananava ». Le roman Désert, plus proche de l’Histoire que de la mythologie, manifeste essentiellement l’exotisme lexical, et ce à travers notamment des toponymes présentés en série : « les routes qui viennent du Draa, de Tamgrout, de l’Erg Iguidi, ou, plus au nord, la route des Aït Atta, des Gheris, de Tafilelt, qui rejoignent les grands ksours des contreforts de l’Atlas […] » (12).
Le second critère d’identification de la prose poétique est la saillance figurale : l’anaphore, dans Désert, est une « figure solennelle qui évoque les grands poèmes épiques, mythiques, religieux » (Borgomano, 1992, 93) ; les répétitions plus largement peuvent aller jusqu’à la litanie dans le même roman (Borgomano, 1992, 94) ; enfin les métaphores (en général, filées), avec les comparaisons et les comparaisons hypothétiques introduites par « comme si », constituent un important réservoir thématique : « Tout cela est étrange, pareil à un rêve interrompu […]. La mer est une route lisse pour trouver les mystères, l’inconnu. L’or est dans la lumière, autour de moi, caché sous le miroir de la mer. […] Le navire glisse sur le miroir de la mémoire. […] Je ferme les yeux pour ne plus voir […] le mur sans faille de la mer. » (D, 118) Dans les deux romans, la personnification des éléments naturels est quasi obsessionnelle : « Le vent n’attend pas. Il fait ce qu’il veut, et Lalla est heureuse quand il est là, […] même s’il jette des poignées de sable à sa figure. […] elle pense au vent, qui est grand, transparent, qui bondit sans cesse au-dessus de la mer, qui franchit en un instant le désert, […] et qui danse là-bas […] et il s’amuse à arracher quelques toits et quelques murs. […] Lalla pense qu’il est beau, […] rapide comme la foudre, et si fort qu’il pourrait détruire toutes les villes du monde s’il le voulait […] » (D, 75).
En dernier lieu, le rythme, qui se définit comme le retour régulier des accents, s’origine dans la constitution de groupes rythmiques et de combinaisons numériques. La « prose cadencée » repose sur la perception de « membres syntagmatiques bien isolables, et en fonction d’une compatibilité syllabique approximative. Réactivant ainsi, pour la culture des récepteurs, des structures métriques canoniques latentes, la prose cadencée, qui n’est certaine qu’au prix d’une accumulation très serrée d’indices, donne une allure lyrique à l’énoncé » (Mazaleyrat et Molinié, 1989, 277). L’effet produit par ces phrases est le maintien du récit à un certain niveau d’intensité, ou un effet d’embellissement, d’idéalisation. Examinons la phrase suivante : « Il n’y a que l’eau profonde, imprégnée de lumière, et le ciel où les nuages semblent immobiles, légères fumées nées de l’horizon » (CO, 113). La première proposition (jusqu’à « lumière ») comporte douze syllabes, nombre qui évoque l’alexandrin, c’est-à-dire le grand vers poétique français, la seconde également si l’on s’arrête avant le groupe détaché (« légères fumées ») lequel se rattache au décasyllabe. De plus, on observe un parallélisme syntaxique marqué par le coordonnant « et » ainsi que par un fait d’apposition dans chacune des deux parties de la phrase (« imprégnée de lumière » et « légères fumées »). Enfin, un effet de clausule est opéré par la métaphore « fumées ». Un isosyllabisme (deux groupes de six syllabes) se retrouve dans cette phrase plus courte « Il y a si longtemps que j’attends cet instant ! » (CO, 112), qui comporte également une figure de sonorité, l’homéotéleute, définie comme un « fait d’homophonie finale entre deux mots qui figurent dans une même phrase ou un même membre de phrase » (Aquien, 1993, 147), soit un effet de rime ; en l’occurrence il s’agit du retour de la même voyelle nasale en fin de groupe. L’enchaînement de plusieurs phrases poétiques forme un îlot textuel à divers endroits du texte.
L’alchimie romanesque tient à la force de suggestion de cet entre-deux générique : « le poème transforme le monde en poésie ; le récit poétique en prose suggère, lui, un monde poétique […] » (Tadié, 1978, 195). Le pouvoir configurant de la prose poétique porte sur des personnages en situation d’instabilité, entre deux âges – l’enfance et l’âge adulte –, entre deux mondes – l’Afrique et l’Océan indien d’une part, la France et l’Europe d’autre part –, et entre deux désirs, deux rêves – la richesse et l’amour.
Sophie Jollin-Bertocchi
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
AQUIEN, Michèle, Dictionnaire de poétique, Paris, Librairie générale d’édition, coll. « Le Livre de Poche », 2993 ; BORGOMANO, Madeleine, Désert, Paris, Bertrand Lacoste, col. Parcours de lecture, 1992 ; CAVALLERO, Claude, PARA, Jean-Baptiste (coords), La Tentation poétique, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, n° 5, Paris, Editions Complicités, 2012 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Désert, Paris, Gallimard, 1980 ; Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard, 1985 ; MAZALEYRAT, Jean et MOLINIÉ, Georges, Vocabulaire de stylistique, Paris, PUF, 1989 ; ROUSSEL-GILLET, Isabelle, Le Chercheur d’or, Paris, Ellipses, col. Résonances, 2005 (2e éd) ; SALLES, Marina, Désert, Paris, Ellipses, col. Résonances, 1999 ; Le Clézio, notre contemporain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; TADIÉ, Jean-Yves, Le Récit poétique, Paris, PUF, 1978.