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L’île Maurice est connue de par le monde pour une espèce disparue, le dodo ou dronte (Raphus cucullatus) dont les cousins se retrouvaient également à Rodrigues et à la Réunion. Cet oiseau aux ailes atrophiées aurait été décimé par les rats importés des Indes hollandaises qui pillaient leurs œufs. L’île abrite malgré tout une longue liste d’oiseaux, dont J.-M.G. Le Clézio et sa femme décrivent une courte dizaine dans leur « petit lexique de la langue créole et des oiseaux » (Sirandanes).
Nous pourrions nommer, par exemple, les pigeons ramiers à la gorge de Sienne, les pigeons à collier au cou orné d’une écharpe à pois et les pigeons des mares, à tête rose, rescapés de la disparition totale, grâce au parc zoologique de Gerald Durrell à Jersey. Les pingos (nom local du capucin damier, Lonchura punctualta) tout droits dans leur costume brun, préfèrent l’herbe en fleur comme les bengalis gris au bec rouge et les serins du pays, fulgurance jaune, éclairs de pure joie. Ces derniers aiment aussi les graines cachées dans les minuscules cônes des filaos (casuarinas). Les chauves-souris, protégées, ont proliféré jusqu’à dévaster les récoltes de fruits ; la gracieuse crécerelle, rapace endémique, a failli disparaître à cause des pesticides et le furtif coq des bois, au chant si triste, en a le nom désolé (Terpsiphone bourbonnensis desolata).
Serin du Cap et serin du Mozambique
Si Le Clézio ne les mentionne pas nécessairement dans ses œuvres, il fait la place aux tisserins ou serins du Cap, aux martins, aux cardinaux et autres visiteurs des jardins et des champs. Tante Catherine les associe aux jours enchantés de l’enfance dans Révolutions : « […] il y avait telle-ment d’oiseaux, là-bas, à Ébène… Ils n’arrêtaient pas de pépier. Des insolents, de jolis petits oiseaux jaunes, des bengalis, des cardinaux tout rouges, d’autres qui ont une huppe, on les appelle des condés » (R, 30). Déjà en 1798, son aïeul Marro s’extasiait : « Chaque matin avant l’aube, notre jardin se remplit d’oiseaux de toutes les couleurs, certains rouge vif, d’autres qui rappellent les perroquets d’Afrique, des tourterelles roses, et des merles d’Inde qui font un concert très bruyant » (R, 227).
Gasse Corbigeau
Au bord de la mer, les gasses et les corbigeaux cherchent à happer les petits poissons au battant de la lame, comme le dit Alexis qui « […] dérange des vols de gasses, de cormorans, de corbijous [sic] » (CO, 15). Les oiseaux marins de toutes sortes « vivent entre le ciel et la mer » (VR, 131), « aux limites du lagon », « des fous, des sternes, des goélands, des albatros, des gasses, des cormorans, des pétrels, des frégates, des skuas, des fulmars, des pluviers, des guillemots […] » (VR, 70), dit Le Clézio qui, à son habitude, utilise l’énumération pour souligner la richesse de la faune d’une part et son appartenance au paysage mauricien de l’autre. Il ne faut pas oublier « les oiseaux-la-vierge d’un blanc éclatant » ; « le bruit de leurs ailes [fait] un vrombissement de chaudière » (Q, 240) dans le ciel indocéan. Les oiseaux accompagnent de leurs chants, de leurs pépiements et de leurs yeux fixes de granit les récits du cycle mauricien. Leurs vols strient le ciel du Boucan à Rodrigues, jusqu’aux confins de l’île Plate, depuis les souvenirs de Rozilis jusqu’à la mythique Euréka, même lorsque Le Clézio rêve des navires aux noms d’oiseaux, « frégates, goélettes [qui] s’appelaient l’Hirondelle, l’Albatros, le Cygne » (S, 86).
Parmi les espèces auxquelles il revient volontiers, Le Clézio a une prédilection marquée pour l’oiseau emblématique de Maurice.
Paille-en-queue
Le paille-en-queue (phaeton aethereus), « oiseau mythique, presque magique par sa beauté » (S, 86), est blanc, au bec rouge, aux « pattes bleutées » (Q, 308), avec « derrière lui sa longue queue de lumière » (S, 86), blanche ou rouge selon l’espèce. « Leur prunelle dure [darde] comme un diamant noir » (Q, 308). Vivant en paires dans des trous « comme des entrées de terriers » (Q, 309) à même les falaises rocheuses, les pailles-en-queue se retrouvent principalement dans les gorges de la Rivière Noire, à l’embouchure de la Grande Rivière Sud-Est et sur les îles du Nord. Kiiirêkkk, « leur cri rauque, pareil au bruit d’une crécelle » (CO, 109), se reconnaît de loin. « Ils planent longuement […], leurs ailes ouvertes, pareils à des croix d’écume, […]. Laure dit qu’ils sont les esprits des marins morts en mer » (CO, 69). Ce sont les témoins omniprésents de La Quarantaine avec « leurs cris aigus, roulant comme des sifflets » (Q 141) et « leur œil sans paupière qui attend le soleil » (Q, 377). Dans Le Chercheur d’or, ils réapparaissent comme un leitmotiv, comme « des astres », éternels, pour rendre les gens heureux et chanter les louanges de Dieu (CO, 366). D’autres encore les considèrent comme des dieux africains.
En contraste marqué avec le paille-en-queue au vol gracieux, le martin, « merle des tropiques » (S, 84) au plumage noir et au bec jaune, est un lori qui nous vient de l’Inde. Éternel bavard, opportuniste, agressif, il sait néanmoins faire preuve de moments tendres envers sa compagne et garder un œil protecteur sur ses jouvenceaux.
Martin
Le Clézio fait référence à ce qu’on appelle à Maurice la « prière du soir » dans les intendances ou les banians : « Le soir, quand les martins jacassent dans les grands arbres du jardin, il y a la voix douce et jeune de Mam en train de dicter un poème, ou de réciter une prière » (CO, 25). C’est la musique de l’enfance, « douce, légère presque insaisissable, unie à la lumière sur le feuillage des arbres […] » (ibid.).
Cardinal de Madagascar Cardinal de Maurice
Le cardinal, aux yeux « dessinés d’un fin trait au khôl » (HP, 220), prend des attributs féminins dans « Amour secret », alors que le mâle se pare d’un rouge éclatant l’été. Ce fody, natif de Madagascar, ne doit pas être confondu avec le cardinal de Maurice, verdâtre à tête rouge, très rare aujourd’hui. De nature curieuse, grégaire et joyeux, le cardinal est comparé aux « filles pensionnaires du couvent, quand elles dansent entre elles dans la cour en faisant tinter leurs bracelets de cuivre à leurs chevilles » (HP, 220). « Il sifflait gravement, il faisait des roulades très douces, twirr, twirr, ensuite très aiguës, une sorte d’appel, il entrouvrait à peine son bec et il criait fwit, fwit, fuyiit […] » (R, 30).
Tourterelle
Les tourterelles au triste chant, « courent entre les cannes, craintives mais sans oser s’envoler » (CO, 52). Grises à la gorge rosâtre, ce sont elles qui réveillent Catherine chaque matin à Rozilis : « elles remuent, elles secouent leurs ailes, il y en a une qui pousse un petit cri, ourrou, ourrou, il y en a une autre qui lui répond quelque part dans l’ombre, ouourrou-ou […] » (Q, 31). Le Clézio décrit admirablement le crescendo de ces « cri[s] très doux » qui s’entremêlent au froissement des ailes à l’aube. Ces oiseaux indolents aiment se prélasser au soleil et passent des heures à picorer de leur pas tranquille.
Bulbul/condé
Les condés ou bulbul (Pycnonotus jocosus) au plastron blanc, aux joues et au fessier rouges, aux ailes et à la huppe noire, préfèrent les papayes et bananes sur le pied. Cet oiseau timide émet de joyeux trilles et penche souvent la tête de côté, comme pour écouter attentivement. Alexis retrouve « une plume de la tête d’un condé » (CO, 97) après le cyclone, tandis qu’Andréa compare les « filles de la prison » à « des oiseaux perdus, des martins insolents, des condés, des serins voleurs de sucre » (HP, 220).
Picpic
De la famille des passereaux, le picpic, communément appelé en créole zozo maniok (Zosterops mauritianus) est tout gris avec du blanc au haut de la queue. Fébrile, il se déplace en groupes dans les arbres et arbustes à la recherche d’insectes. Son nom créole est synonyme d’imbécile (S, 92).
« Il y a aussi des frégates les plus beaux oiseaux que j’aie jamais vus, d’un noir brillant, avec leurs ailes immenses déployées, et leurs longues queues fourchues qui flottent derrière elles. Elles glissent dans le vent au-dessus de nous, vives comme des ombres, faisant crépiter les sacs rouges à la base de leur bec » (CO, 166). La frégate (magnificens), oiseau de mer pillard à grande envergure, « l’image même de la beauté et de la cruauté » (S, 78). Outre les navires, la frégate a donné son nom à une île des Seychelles, île où la Buse, le pirate, aurait caché son trésor.
Il est intéressant de noter que, si les vols d’oiseaux agrémentent de nombreuses pages du cycle mauricien, comme une constante dans la vie quotidienne, aucun oiseau n’est mentionné dans les passages du même cycle mauricien qui se réfèrent à d’autres aires géographiques, à part une brève mention de cigognes, de manière abstraite, dans une conversation (R, 284). Nous pourrions extrapoler pour dire que les oiseaux sont inextricablement liés à « sa petite patrie » dans l’imaginaire leclézien et que leur présence – ou leur simple passage – éveille chez lui, comme chez ses personnages, l’effervescence de la nature, la gaieté intrinsèque et la liberté d’une île campée dans un vaste océan : « J’envie leur légèreté, la rapidité avec laquelle ils glissent dans l’air, sans s’attacher à la terre » (CO, 216).
Eileen Lohka
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard (Folio), 1990 ; Voyage à Rodrigues, Paris, Gallimard (Folio), 1986 ; La Quarantaine, Paris, Gallimard, 1995 ; Révolutions, Paris, Gallimard, 2003 ; Histoire du pied et autres fantaisies, Paris, Gallimard, 2011 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. et Jemia, Sirandanes suivies d’un petit lexique de la langue créole et des oiseaux, Paris, Seghers (Coll. Volubile), 1990.
Photos Eileen Lohka.