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Quatre noms surtout illustrent le Muralisme mexicain, José Clemente Orozco (1883-1949), Diego Rivera (1886-1957), David Álfaro Siqueiros (1896-1974) et le peintre franco-mexicain Jean Charlot (1898-1979). Encore étudiants, les deux premiers s’insurgent dès 1912 contre le Pompiérisme, l’art officiel européen enseigné à l’Académie San Carlos de Mexico. Grâce à une bourse, Diego Rivera part en Europe en 1907 parachever sa formation. Séjournant surtout à Paris, il est influencé par les peintres d’avant-garde. Il fait la connaissance de Picasso et réalise quelques œuvres à la manière des Cubistes. Mais ayant découvert Giotto en Italie, il s’oriente vers la fresque, le décor mural, dès son retour au Mexique. Dans la biographie qu’il consacre au couple d’artistes mexicains, Diego et Frida, Jean-Marie Le Clézio décrit ainsi l’impact de la peinture italienne sur l’orientation de la peinture de Rivera : « Il a compris que là était sa peinture, sur les murs des maisons de la nouvelle Révolution, pour les yeux du peuple qui s’est battu dans les rues et sur la terre, et non dans les salons des ateliers enfumés de Montparnasse. » (D&F, 42).
Et, en effet, les nouvelles autorités mexicaines issues de la longue séquence révolutionnaire de 10 ans (1910-20), ouvertes aux innovations, ont mis en place une ambitieuse politique culturelle. L’avocat José Vasconcelos, ancien proche de Pancho Villa, devenu Ministre de l’Éducation, commande à ces artistes de grandes peintures murales, réalisées dans des lieux publics, dans une claire intention d’éducation populaire. Après des siècles d’oppression espagnole et catholique, il s’agissait de rejeter le colonialisme, de promouvoir les cultures indigènes, en un mot d’aider le pays à retrouver son identité culturelle. Après avoir voyagé un peu au Mexique, après avoir vu les sites archéologiques, au Yucatán notamment, Rivera de même que Jean Charlot se mettent au travail en janvier 1922 au Secrétariat d’État à l’Éducation publique (SEP). Diego Rivera réalise un ensemble important – 1585 m2 sur deux cours intérieures, réparti en 235 panneaux sur trois étages – intitulé « La vision politique du peuple mexicain ». Il y travaille de 1923 à 1928. Il y a chez les Muralistes une rupture volontaire, assumée, avec la peinture de chevalet, considérée comme un art pour les bourgeois, ainsi que l’explique l’un d’eux, David Álfaro Siqueiros, en 1922 :
Nous condamnons la peinture dite de chevalet et tout l’art des cénacles ultra-intellectuels parce qu’aristocratiques, et nous glorifions l’expression de l’Art monumental parce qu’il est d’utilité publique (Art d’Amérique latine, 1992, 200).
Ce souci de se mettre au service du peuple amène ces peintres à se contenter du salaire que touchent les ouvriers du bâtiment. Toujours à Mexico, au Palais national – siège de la Présidence de la République – Rivera décore le rez-de-chaussée de la cour, le grand escalier aussi, retraçant l’histoire de la nation mexicaine. Sur le mur nord, la fresque mobile n°6, intitulée « Culture amérindienne totonaca » (4,92m/5,27m) illustre le commerce entre les nobles totonaques et les marchands aztèques. La ville totonaque d’El Tajin, près de Veracruz, apparaît à l’arrière-plan. Toujours sur le mur nord, la fresque mobile n°11, « Arrivée de Cortes à Veracruz », de même dimension que la précédente, montre des conquérants cupides, violents, bottés, alors que les indigènes sont pieds nus ou chaussés de sandales, les huaraches. Selon l’historien Bernard Grunberg, les conquistadors étaient de petits nobles très pauvres, originaires de la région déshéritée d’Estrémadure, à la recherche d’or et d’esclaves, animés en outre d’une idéologie de croisade. Dans son tableau « La torture de Cuauhtemec », David Álfaro Siqueiros évoque une des figures emblématiques de la résistance aux espagnols et à leurs alliés indigènes.
David Álfaro Siqueiros, La torture de Cuauhtemec.
Ce dernier empereur aztèque, dont le nom signifie « aigle descendant », fut capturé après le siège de Tenochtitlan (30 mai-13 août 1521). Les hommes de Cortes qui voulaient savoir où les Aztèques avaient caché leurs trésors lui infligèrent la torture, plongeant ses pieds dans l’huile à laquelle ils mirent le feu. Ayant survécu, il fut pendu le 28 février 1525 à l’âge de 29 ans. Quant à Rivera, il ne se contente pas d’évoquer le passé douloureux de son pays et « son amour charnel pour la terre indienne » (D&F, 185), il parle aussi dans certains de ses « murales » de l’avenir prometteur de l’humanité et des luttes destinées à le préparer. Ainsi, dans « La terre libérée et les forces naturelles contrôlées par l’homme », sur le tympan de la nef de la chapelle de l’École d’Agriculture de Chapingo, il exalte le travail de la terre, « représente la réalité du labeur des paysans, leur puissance révolutionnaire » (D&F, 80). L’œuvre, réalisée en 1926-27, couvre au total 370 m2 (14 panneaux principaux et 27 secondaires).
Rivera, La terre libérée et les forces naturelles contrôlées par l’homme.
La prospérité qui découle de ce travail est symbolisée sur le tympan par un nu féminin, une femme sensuelle. Tina Modotti, compagne et muse de peintres et de photographes, avait posé. La force du vent est exaltée (cf. l’éolienne) et aussi les progrès dus à une invention nouvelle, l’électricité. Le Clézio commente ainsi ce tableau : « Parallèlement à la proclamation de l’idéal révolutionnaire, Diego Rivera se sert de cette peinture murale pour laisser exploser à la lumière publique sa foi en la vie, en la beauté sensuelle du corps féminin » (D&F, 81).
Les Américains du Nord ne vont pas tarder à s’intéresser à ces peintres, certes indigénistes, mais aussi fascinés par leur époque. Ainsi, c’est un des admirateurs de Rivera, Dwight W. Morrow, ambassadeur des États-Unis au Mexique, qui finance son premier voyage aux États-Unis à l’automne 1930. Après avoir été exclu du Parti communiste mexicain qui n’appréciait pas cette compromission avec l’ennemi impérialiste, Diego part pour la Californie avec Frida Kahlo. Il peint tout d’abord un mur de la California School of Fine Arts, se montrant au travail juché sur un échafaudage. Il réalise aussi une « Allégorie de la Californie » (1930-31), pour le nouvel immeuble de la San Francisco Pacific Stock Exchange, la championne de tennis et peintre amateur Helen Wills Moody lui ayant servi de modèle. Ayant fait la connaissance du Directeur du Detroit Institute of Arts et grâce à Edsel B. Ford, le fils d’Henry Ford, il est invité à réaliser des peintures murales au Detroit Institute of Arts (1932). Dans cette ville qui a vu naître et se développer de puissantes usines automobiles, il représente l’épopée de cette industrie sur 433 m2 dans le hall d’entrée du Musée. Il illustre ainsi les phases de la fabrication de la V-8, une des premières représentations en peinture du travail à la chaîne, au moyen de formes géométriques simples empruntées au cubisme. Mais au-dessus, deux figures féminines plus classiques tiennent en main les matières premières nécessaires à cette industrie : fer et charbon, sable et calcaire, les composantes de l’acier.
La tâche est colossale. « Le travail collectif est celui d’un véritable orchestre que dirige le peintre à la manière des ateliers de la Renaissance italienne », écrit J.M.G. Le Clézio, qui détaille les étapes de la réalisation des fresques : la préparation du support par les ouvriers plâtriers, le dessin au stencil des contours de la composition par les assistants et enfin l’intervention de Diego qui « réalise le dessin définitif, les ombres, les nuances de couleur sur le plâtre encore humide. Il travaille tout le jour, parfois jusqu’à la nuit, sans repos, ses pinceaux montés sur de longues tiges de bois » (D&F, 126). L’un des responsables du Musée, Edgar P. Richardson, n’est pas avare de louanges : « Rivera a créé un style puissant de peinture narrative qui fait de lui le seul artiste vivant capable de représenter le monde dans lequel nous vivons […] tandis que la plupart des peintres contemporains sont abstraits et introspectifs » (Bertram D. Wolfe, 1994, 220). Enfin, le voici sur la côte Est, les frères Rockefeller – Nelson et John – lui ayant demandé de décorer le bâtiment de la Radio Corporation of America (aujourd’hui le Rockfeller Center) à New York. Aidé par une équipe, dont faisait partie notamment le peintre américain Ben Shahn, il réalise une immense fresque intitulée « L’homme maître de l’univers » ou « À la croisée des chemins, le regard plein d’espoir tourné vers un avenir meilleur ».
Diego Rivera, L’homme maître de l’univers.
Cette œuvre est une illustration de la maîtrise des forces de la nature par l’intelligence humaine. Un microscope permet d’observer l’infiniment petit, les cellules vivantes, et un télescope les éléments célestes. Mais Rivera place aussi à gauche les forces du mal : soldats sans visage, hérissés de baïonnettes, bourgeois assis à la table de jeu, témoignage de la décadence du monde capitaliste. Il leur oppose la société soviétique, société des prolétaires en pleine forme physique (gymnastes), société de combattants aussi. On défile sous les drapeaux rouges, sous la conduite de chefs tout à fait reconnaissables, comme Lénine. Les commanditaires américains donnent l’ordre de détruire l’œuvre, ils n’appréciaient pas l’exaltation de la lutte révolutionnaire violente et des chefs révolutionnaires. Mais, ayant été indemnisé, l’artiste a pu refaire cette fresque au Musée des Beaux-Arts de Mexico, sur un format plus modeste (4,85m/11,45m). Et dans cette nouvelle version, à côté de Lénine figurent Marx, Engels et Trotsky qui appelle à créer la Quatrième Internationale.
Tout aussi actif, Orozco exécute son Prométhée pour le Pomona College de Los Angeles (1930). Il travaille aussi sur la côte Est, à la New School for Social Research de New York (1931) et à la Baker Library de Dartmouth College, à Hanover dans le New Hampshire (1932-34). Quant à Siqueiros, resté fidèle à l’orthodoxie communiste-stalinienne jusqu’à sa mort, il réalise une fresque intitulée « l’Amérique tropicale » pour le Plaza Art Center de Los Angeles (années 1930) et travaille à Mexico pour la Maison du syndicat des électriciens et pour le Théâtre de l’Association nationale des acteurs. C’est à Mexico, au Polyforum – vaste complexe culturel -– qu’il termine, en 1972, peu avant sa mort, son œuvre la plus ambitieuse : sur 4600 m2, il met en scène « La Marche de l’humanité de la terre au cosmos ».
Ces créateurs ont exercé une grande influence dans de nombreux pays d’Amérique latine. En Argentine dès le milieu des années 30, comme au Venezuela où a été créée une chaire de peinture murale en 1936, au Brésil comme à Cuba où s’est constitué le groupe « Arte Calle ». Au Chili, à partir de la période de l’Unité populaire se sont formées des Brigades d’artistes qui ont continué leur activité en exil après le coup d’État du 11 septembre 1973. Au Nicaragua, la révolution sandiniste a permis l’ouverture en 1985 de l’École nationale d’art public et monumental. Beaucoup de chrétiens ayant participé à cette révolution, les artistes mêlent martyrs chrétiens et martyrs laïques. Les réalisations de Julie Aguirre (Vie au village, 1980, dans le Parc Alfonso Velazquez à Managua) s’apparentent à l’Art Naïf, proches des graffitis présents dans toutes les grandes villes.
J.M.G. Le Clézio a longtemps vécu au Mexique et a vu ces fresques in situ. Il n’est pas surprenant qu’il se soit intéressé à cette forme d’art collective, ouverte à tous, qui ne se dissocie pas du réel et se démarque d’une conception individualiste et élitiste de la pratique artistique. Comme l’a montré Isabelle Constant (2010), l’engagement de ces artistes dans la défense des cultures amérindiennes et le combat révolutionnaire pour « une société meilleure » (Constant, 131) rejoint ses propres préoccupations. Mais, c’est aussi sur le plan spirituel qu’il se sent concerné par l’œuvre monumentale de Diego Rivera « empreinte d’une religion païenne, chtonienne, primitive, la religion de la femme-terre féconde et généreuse » (D&F, 90).
Jean-Paul Salles
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Art d’Amérique latine 1911-68, Catalogue de l’exposition, Paris, Musée national d’art moderne (MNAM) Georges Pompidou, 1992 ; CHARLOT, Jean, The Mexical Mural Renaissance, New Haven, Yale University Press, 1925, rééd. 1963 ; Diego Rivera Frida Kahlo, Catalogue de l’exposition à la Fondation Dina Vierny-Musée Maillol, Paris, 1998 ; CONSTANT, Isabelle, « Portrait de Le Clézio en Diego et Frida in Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet, Marina Salles (dirs), Le Clézio , passeur des arts et des cultures, Rennes, PUR, 2010, p. 129-144 ; GUTIEREZ VIÑUALES, Rodrigo, GUTIEREZ Ramón, coord., Pintura, Escultura y Fotografía de Iberoamérica, Siglos XIX-XX, Madrid, Ediciones Cátedra, 1997 ; KETTENMANN, Andrea, Diego Rivera, Cologne, Taschen, 1997 ; LE CLÉZIO, J.M.G, Diego & Frida, Paris Stock, 1993 ; Mexique-Europe. Allers-retours 1910-1960, Paris, Éditions Cercle d’Art, 2004, à l’occasion de l’exposition présentée au Musée d’Art moderne Lille Métropole, 4 septembre 2004-16 janvier 2005 ; SALLES, Jean-Paul, « Le muralisme mexicain : un art révolutionnaire », revue Historiens & Géographes n°371, juillet-août 2000, p. 283-288; SALLES, Marina, « Figures et motif du Musée imaginaire de J.M.G. Le Clézio », in Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet, Marina Salles (dirs), Le Clézio , passeur des arts et des cultures, Rennes, PUR, 2010, p. 145-162 ; WOLFE, Bertram D., Diego Rivera, Paris, Éditions Séguier, 1994 (1ère édition à New York chez Stein and Day, 1963).