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« Rien n’était aussi terrible que ce qu’elle avait vu à Cawnpore, les femmes et les enfants tués à coups de bâton par les sepoys, et la vengeance des Anglais qui attachaient les hommes à la bouche des canons et les pulvérisaient au-dessus des champs. » (Q, 332) : cette scène violente figure dans la partie centrale du roman La Quarantaine de J.-M.G. Le Clézio, le récit second intitulé La Yamuna, dont les éléments narratifs paraissent décalés par rapport au reste de l’intrigue, mais qui en forment un écho mystérieux. Parfaitement identifiable par sa présentation graphique – une marge accentuée –, il étoffe la séduction du livre, dont il accentue la dimension épique, voire mythologique. Ce récit prend appui sur un épisode bref et sanglant de l’histoire de l’Inde, en sa période de domination coloniale : la « révolte des Cipayes », terme utilisé pour désigner les troupes autochtones servant dans l’armée britannique.
La mutinerie qui secoue l’Inde entre mai 1857 et juin 1858 est à la fois un affrontement colonial, un catalogue de toutes les horreurs de la guerre, et l’événement matriciel du courant indépendantiste que le Parti du Congrès fédère partiellement plusieurs décennies plus tard. La rébellion se répand en quelques semaines et en divers lieux telle une traînée de poudre. Elle éclate dans un ensemble territorial en partie contrôlé par la Compagnie Anglaise des Indes Orientales. Depuis le XVIIIe siècle, par des alliances contraintes et des annexions militaires, celle-ci a réussi à imposer la présence et l’ordre britanniques, dans la partie orientale et centrale du pays principalement. Pour maintenir et étendre son pouvoir, la Compagnie compte autant sur l’atomisation territoriale, politique et sociale que sur les forces armées. Celles-ci sont com-posées d’environ 350 000 hommes, de recrutement essentiellement local (310 000 « Cipayes » ou « Sepoys » encadrés par 40 000 européens), mais d’origines très différentes (musulmans, hindous, sikhs...).
Entre rumeurs, craintes et colères, c’est un faisceau de causes qui, portant à incandescence une société brimée et exploitée, conduisent à l’embrasement de l’Inde au milieu du XIXe siècle. Il prend la forme de soulèvements dispersés, non concertés, mais concomitants, nés à la fois parmi la noblesse féodale, les propriétaires fonciers, les paysans et les hommes de troupe. Ces derniers refusaient de participer à la guerre contre la Birmanie, attachés à la tradition qui voulait que les combattants indiens ne servent pas à l’étranger. Une baisse des primes versées, l’attitude franchement raciste de jeunes officiers anglais et la menace d’une conversion forcée au christianisme, dont les rumeurs parcourent les régiments, sont d’autres motifs d’in-quiétude. Ils deviennent insupportables lorsqu’ils sont complétés par une mesure en apparence anodine, l’adoption du nouveau fusil Enfield en 1853 et des cartouches qui l’accompagnent : lubrifiées avec du suif (pour une meilleure protection contre l’humidité), c’est-à-dire de la graisse de porc ou de bœuf, elles sont considérées comme impures par beaucoup de soldats. Même si le commandement demande expressément que les forces autochtones ne l’utilisent pas, le mal est fait auprès des troupes.
À cela s’ajoutent, pour d’autres catégories sociales, les dispositions de « préemption » concernant les successions féodales : si aucun héritier mâle, légitime et non adopté, ne pouvait recueillir l’héritage foncier, les terres reviendraient à la Compagnie des Indes Orientales. C’est contre cette mesure que Lakshmî Bâî (Lakshmibay dans le roman) entre dans l’insurrection pour défendre la ville de Jashni dont elle était régente, jusqu’à sa mort héroïque évoquée dans La Quarantaine (233).
Parmi les multiples affrontements, qui furent autant d’épisodes meurtriers marqués par des violences de part et d’autre, peut être évoqué le siège de Delhi, du 1er juillet au 21 septembre 1857. L’arsenal et la résidence du représentant britannique avaient été détruits au printemps précédent. La ville est en partie pillée et de nombreux civils massacrés. Bahadur Shah Zafar, empereur proclamé, cité par Le Clézio qui mentionne la fougue de ses jeunes partisans (235), est capturé au terme de cet épisode, et ses fils exécutés. Au milieu de l’année 1858, les événements de Kanpur (Cawnpore) scandalisent l’opinion publique britannique, après que les ressortissants anglais ont presque tous été massacrés au moment de l’évacuation de ce lieu face à l’arrivée des troupes indiennes.
Outre ces tragédies sanglantes, d’autres raisons contribuent à l’épuisement de la révolte indienne au bout de quelques mois, principalement le manque d’unité de la rébellion, écartelée entre les différentes tendances musulmanes (dont certaines appellent au jihad contre les Britanniques) et le retrait des Sikhs, inquiets d’une domination musulmane qui remplacerait l’autorité britannique.
Celle-ci n’a réagi que lentement face à la rébellion, engageant d’abord des troupes venues de Perse et de Chine, puis des contingents arrivés de la métropole après plusieurs semaines de mer. Certains chefs de la mutinerie fuient. Les derniers combattants arrêtés sont pendus ou exécutés au canon. Des villages entiers sont rasés dans les zones soulevées, sans que l’opinion publique anglaise ne s’en émeuve tant les atrocités (surtout celles visant les Britanniques) rapportées par la presse entretenaient une hystérie nationale/nationaliste qui inclinait peu à l’indulgence. Même Charles Dickens et Wilkie Collins, certains des auteurs les plus en vue de cette période, participèrent à ce mouvement qui réprouvait la clémence. « Sepoy » devient un terme très péjoratif dans le vocabulaire anglais du temps, allant jusqu’à désigner aussi les nationalistes irlandais honnis.
Après la signature du traité de paix, le 8 juillet 1858, plusieurs mesures assez radicales sont prises par les autorités britanniques : dissolution de la Compagnie Anglaise des Indes Orientales, sévère réorganisation de l’armée, réforme de l’administration du territoire par le Government India Act. L’India Office est créé et placé sous la tutelle directe de la Couronne. L’autorité dans le nouveau Raj britannique est confiée au Vice-Roi ou au Gouverneur général, en permettant l’existence de gouvernements locaux. Les hiérarchies traditionnelles sont en théorie mieux respectées. La saisie de terres est suspendue. Des lois de tolérance religieuse sont édictées. Mais si des postes sont réservés aux autochtones dans la fonction publique, il s’agit de postes subalternes, dont le nombre est fortement réduit à partir de 1883.
C’est de cet enfer que sort indemne l’enfant Ananta, sauvée et initiée à la danse par Giribala, au terme d’une odyssée qui leur fait parcourir une contrée ravagée par la guerre, avant le départ à bord de l’Ishkander Shaw, pour une traversée de l’Océan Indien vers Mirich Desh, Maurice, l’île de la vie sauve. Une manière, pour Le Clézio, de dessiner, par la légende, de nouvelles figures de femmes puissantes, militantes, voire « héroïne[s] malgré elle[s] » (RF), en tout cas survivantes. Et de nous renvoyer avec subtilité aux angles toujours aveugles du monde d’aujourd’hui, des enfants soldats perdus et sacrifiés par les violences des adultes aux migrants précipités dans les incertitudes de l’exil, dont le romancier se fait le porte-parole : « Je pense à Ananta comme à quelqu’un que j’aurais connu, une aïeule dont je porterais le sang et la mémoire, dont l’âme serait encore vivante au fond de moi. Je ne sais d’elle que ce nom, et qu’elle avait été arrachée à la poitrine de sa nourrice assassinée, à Cawnpore, pendant la grande mutinerie des sepoys en 1857. Ce que m’a raconté ma grand-mère Suzanne, quand j’étais enfant, la légende de mon grand-oncle disparu. » (Q, 329)
Thierry Bedon
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
LE CLÉZIO, J.-M.G., La Quarantaine, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995 ; POUCHEPADASS, Jacques, « La Révolte des Cipayes », L’Histoire, n°27, octobre 1980 ; SAUL, David, The Indian Mutiny: 1857, Londres, Penguin Books, 2003.
Engagisme ; Île Plate ; Hindouisme ; Quarantaine (La).