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Plante de la famille des graminées, la canne à sucre (Saccharum officinarum) est cultivée dans tous les pays tropicaux ou tempérés chauds. De ses tiges d’une hauteur de 2,5 à 6 mètres et d’un diamètre de 1,5 à 6 cm, on extrait le sucre de canne et les produits dérivés. La quantité de saccharosecontenue dans la canne est en moyenne de 12 à 15 %. C’est l’une des plantes économiquement les plus importantes du monde, même si sa production est actuellement en recul. Elle aurait été répandue par l’homme d’abord dans toutes les îles du Pacifique et dans l’Océan Indien jusqu’en Malaisie. Elle est jusqu’au début du XIXesiècle la seule source importante de production du sucre, dont elle représente toujours actuellement 65 à 70% (en Europe le sucre provient essentiellement de la betterave sucrière).
À partir de boutures, les cannes sont plantées soit dans un sillon soit à plat ou en lits surélevés selon l’humidité des sols. Elles nécessitent beaucoup d’eau sans pour autant se plaire en terrains trop humides ; les terres poreuses sont donc idéales pour les plantations. Les plantes produisent une dizaine de roseaux chaque année et les boutures sont renouvelées environ tous les cinq ans. La récolte intervient au bout de 10 à 12 mois, ou quelques mois plus tard, en fonction du climat et des pratiques agricoles.
L’auteur de La Quarantaine note de façon réaliste qu’« à Médine c’était presque tous les ans la première coupe parce qu’on était à l’ouest et que les cannes mûrissaient plus vite » (Q, 90), décrivant le rituel qui accompagne le « commencement de la coupe » (ibid.). Lors de la saison sèche, la canne arrive à maturation, le taux de sucre augmente et les feuilles se dessèchent. La concentration en sucre est maximale dans la partie basse de la tige. La canne est généralement récoltée au début de la floraison qui provoque une baisse du taux de sucre. L’effeuillage des feuilles mortes est parfois pratiqué avant la récolte pour faciliter le travail des coupeurs, une tâche réservée aux femmes dans Le Chercheur d’or (CO, 309). Quelquefois, le champ est brûlé pour éliminer les feuilles mais la pratique causant une baisse du taux de sucre, elle est moins utilisée aujourd’hui. Les coupeurs sectionnent la tige de la canne juste au-dessus du premier nœud, ils l’étêtent et la recoupent, si elle est trop longue, avec des « sabres » ou de « longs couteaux » (Q, 90), note J.-M.G. Le Clézio, dont les textes mauriciens résonnent du cri des coupeurs de cannes, relayé par les enfants : « Aouha! Aouha! » (CO, 16 ; Q, 90). Les têtes sont laissées sur le champ pour le fertiliser. Les tiges de cannes sont ensuite chargées sur un camion – un chariot ou une charrette à bœufs à l’époque du Chercheur d’or – qui les transporte jusqu’à l’usine sucrière, toujours proche des exploitations, car la dégradation du taux de sucre de la canne coupée est rapide : elle perd 2, 4 points de richesse en moins en 10 jours. De plus en plus, la coupe se fait mécaniquement, les machines coupant et effeuillant, alors que de petits bulldozers chargés de pinces mécaniques chargent les cannes dans les camions en attente. Il est à noter également que l’industrie sucrière s’est centralisée dans de nombreux pays, surtout dans les Mascareignes. À l’île Maurice, il ne reste que quatre usines à sucres, beaucoup plus puissantes que celles du Chercheur d’or, une à chaque point cardinal de l’île.
Selon la méthode traditionnelle, décrite par le moine dominicain Jean-Baptiste Labat (1663-1738) qui lui a donné son nom, la fabrication et la purification du sucre se font au moyen d’un « équipage » (Cauna, 1987, 173) de six chaudières. Le jus de canne est d’abord recueilli dans la « Grande », puis clarifié dans « Propre », réduit une première fois dans le « Flambeau » et enfin dans le « Sirop » ; le sirop achève sa cuisson dans la « Batterie ». Une fois la cuisson terminée, le sucre liquide cristallise dans de grands bacs en bois, les « rafraîchissoirs ». La masse-cuite ou sucre refroidi est déposée dans des récipients percés de trous pour laisser égoutter le sirop. Au bout de quatre semaines, le sucre est prêt pour la consommation. La mélasse, du grec melan, noir, résidu très épais et visqueux qui contient encore une faible quantité de sucre, de la vitamine B6 et des minéraux (calcium, magnésium, potassium et fer), est alors recueillie et peut être fermentée et distillée pour produire le rhum industriel, le rhum agricole, pour sa part, provenant de la fermentation du vesou. De nos jours, le processus est entièrement automatisé. Les tiges de canne sont broyées dans un moulin pour en extraire le jus ou vesou. Le résidu fibreux ou bagasse, essentiellement la cellulose de la plante, est utilisée pour chauffer les fours dans lesquels réduit le vesou qui, après évaporation, donne le sirop, lequel est clarifié puis concentré pour en extraire le sucre cristallisé brut, la cassonade. Celle-ci constitue le sucre roux qui sera ensuite éventuellement transformé en sucre blanc dans une raffinerie. L’auteur du Chercheur d’or évoque avec lyrisme la fabrication du sirop : « le jus clair qui ruisselle sur les cylindres, coule vers les cuves bouillantes […] » et la joie des enfants à recueillir et à sucer les premiers morceaux de sucre, « la pâte brûlante couverte d’herbes et de morceaux de bagasse » (C0, 21-22). De façon pratique, l’électricité produite par les usines sucrières à partir de la bagasse, sont retournées au réseau électrique national.
Il va sans dire que l’économie des plantations influence profondément le développement socio-culturel des pays impliqués, surtout lorsqu’il s’agit des îles françaises des Antilles et des Mascareignes où la culture de la canne est généralisée au XVIIe siècle. L’importation massive d’esclaves, de l’Afrique de l’Ouest vers les Antilles, de Madagascar, du Mozambique et de l’Afrique de l’Ouest vers les Mascareignes, est à la base d’une société où la majorité asservie travaille sans relâche pour une petite minorité de Blancs. Nul besoin ici d’évoquer en détail Le Code noir, le marronnage ou le métissage graduel des populations, ni le développement du créole comme langue véhiculaire – et vernaculaire – au fil des ans. Nous devons cependant mentionner, ne serait-ce que brièvement, que la majorité des esclaves, qualifiés de la synecdoque pioche dans les documents d’archives, travaillent dans les champs. Ils sont (souvent mal) nourris, vêtus et logés en échange d’un travail brutal, dans des conditions avilissantes, sous un soleil de feu. Nombreux sont ceux qui s’enfuient et se cachent dans les forêts, ou se réfugient au Morne dans le cas de Maurice, aujourd’hui patrimoine mondial de l’UNESCO, où les fouilles ont mis à jour des camps de marrons.
Dans De L’esprit des lois, Montesquieu ironise sur la défense de l’esclavage par les exploitants sucriers : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait cultiver la plante par des esclaves. » L’un des personnages de La Quarantaine fait écho à cette ironie lorsqu’il parle d’un « sucrier, comme on dit un négrier » (Q, 429). L’exploitation de la canne y est évoquée à travers les souvenirs de Jacques, le seul personnage qui ait connu la propriété familiale pendant son enfance (Q, 88-89).
Suite à la prise de Maurice par les Anglais, l’abolition de l’esclavage prend vigueur en 1835. Le gouvernement anglais fait cependant venir de l’Inde des coolies que les plan-teurs engagent pour travailler la canne, dans des conditions proches de celles des esclaves noirs. C’est la pratique de « l’engagisme », illustrée dans La Quarantaine de J.-M.G. Le Clézio par l’histoire d’Ananta et de Giribala qui, ayant fui l’Inde et la révolte des Cipayes, sont affectées à la plantation d’Alma (Q, 408-413). Les femmes sont habillées d’un sac de jute appelé gunny pour travailler dans les champs, sous la surveillance d’un field manager et des sirdars, sorte de contremaîtres qui organisent la tâche. Les gens qui meurent au travail sont quelquefois enterrés sous les cairns, blocs de lave ressemblant à de petites pyramides, résultat de l’épierrage de nouveaux espaces cultivables. Un travail pénible, effectué par les esclaves ou leurs descendants et subséquemment par les coolies que Le Clézio décrit avec précision dans Le Chercheur d’or (308-309, 310).
Il n’est pas surprenant donc que les marrons aient rallié la cause de Ratsitatane, prince malgache exilé à Maurice, durant la révolte de 1822. Six sont condamnés à mort par le gouvernement britannique et Ratsitatane, Latulipe et Kotolovo sont décapités. J-M.G. Le Clézio reprend cet épisode historique dans Révolutions, à travers l’histoire de Kiambé, celle qui récite son nom africain comme une litanie pour se le réapproprier. L’affaire Ratsitatane a son écho dans la révolte spontanée, d’une rare violence, que raconte J.-M.G. Le Clézio dans Le Chercheur d’or lorsqu’un field manager cruel, ayant frappé et insulté les ouvriers noirs, est jeté violemment dans « la gueule du four à bagasse » (CO, 67-68). Le Clézio mentionne également des révoltes de la faim (CO, 311). En 1943, une confrontation entre la police et les travailleurs durant une grève à l’usine de Belle-Vue Harel dans le nord de l’île fait quatre morts, dont Anjalay Coopen, jeune femme qui symbolise la résistance aux autorités coloniales et aux conditions de travail imposées par les planteurs.
Sac de sucre prêt pour l’exportation.
Les sacs ne sont plus faits de goni
(équivalent créole de gunny).
Nous avons privilégié l’île Maurice dans le contexte de la canne parce qu’elle est la « petite patrie » de J.-M.G. Le Clézio, la terre natale de ses ancêtres. En effet, le Breton François Alexis Le Clézio fait souche à l’lsle de France en 1793. En 1856, son fils Eugène acquiert la villa Euréka et une plantation de canne à sucre dans la région de Moka. Pendant des générations, la famille est intimement liée à la production sucrière dans l’île. Sir Henry Leclézio (épellation mauricienne du patronyme) (1840-1929), « président de la Chambre d’Agriculture et ultime propriétaire du domaine familial d’Alma, favorisa le progrès scientifique dans l’industrie sucrière à Maurice » (d’Unienville, p. 328-329). Son petit-fils Fernand est la force motrice derrière la première usine à être centralisée à F.U.E.L (Flack United Estates Limited), pendant longtemps la plus grande usine de l’île. La ruine de la branche de Sir Eugène Le Clézio et la vente d’Euréka à son frère, Sir Henry, au début du XXe siècle est à l’origine de la diaspora des ancêtres de J.-M.G. Le Clézio, romancée dans tous les livres du cycle mauricien du Prix Nobel 2008. Source de l’enrichissement familial, la canne à sucre était alors – et reste encore – l’une des principales ressources économiques de l’île Maurice.
Eileen Lohka
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
CAUNA, Jacques, Au temps des isles à sucre ; Histoire d’une plantation à Saint-Domingue au XVIIe siècle, Paris, Karthala - A.C.C.T., 1987 ; D’UNIENVILLE, Noël, L’île Maurice et sa civilisation, Paris, G. Durassié & Cie Éditeurs, 1949 ; FAUQUE, Claude, L’Aventure du sucre, une histoire de l’île Maurice, publication du Musée L’Aventure du sucre, Beau-Plan, Île Maurice, 2002 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard, 1985 ; La Quarantaine, Paris, Gallimard, 1995 ; http://fr.wikipedia.org/wiki/Canne_à_sucre (consulté le 22 octobre 2013).
Photos : © Eileen Lohka