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La partition de la Sandunga est posée avant le prologue au récit Diego et Frida et situe le texte dans une époque, dans une histoire et dans un espace profondément mexicains. Ce qui pourrait apparaître comme un détail s’avère un protocole de lecture, tant par sa place figurant une épigraphe musicale et le tragique qui émane du texte, mais aussi en raison des connotations éminemment populaires, liées à l’esprit révolutionnaire qui accompagnent les peintres dans ce Mexique que Le Clézio élève en modèle des révolutions.
De facto, danse de la région d’Oaxaca (valse 3/4), la Sandunga peut se traduire par « grâce » « plaisanterie », bien que l’étymologie en soit problématique. Elle serait une variante d’un terme zapotèque, ce qui lui attribuerait une valeur mythologique, en renvoyant à ce peuple dont le nom original est Be’neza (« peuple des nuages »), et que les Aztèques, après leur victoire, ont appelé Tzapotēcah en relation avec l’arbre sapote qu’ils voulaient pour ancêtre. Après la Conquête, les Espagnols hispanisent le mot en Zapotecas. Cette explication ne satisfait pas Le Clézio, qui lui préfère l’hypothèse de « danse étrange au nom africain » (Le Clézio 1993, 293), se fiant à la musicalité du mot ou en souvenir du lointain al-Andalus. Néanmoins la provenance de cette danse populaire qui fit son apparition au milieu du XIXe siècle au Mexique demeure mystérieuse, bien que l’on se plaise à y déceler des accents de la Jota espagnole (XIIe siècle due au troubadour arabe Aben Jot), du fandango (XVIIe siècle), mais où se retrouvent également des influences locales. Jouée pour la première fois à Mexico au Théâtre National, le 3 décembre 1850, elle demeure attachée à la région de l’isthme (état d’Oaxaca) en 1853 et il est dit que le poète Máximo Ramón Ortiz était au concert écoutant la Sandunga, lorsque la nouvelle de l’agonie de sa mère à Tehuantepec lui parvint. Arrivé trop tard pour recueillir ses dernières paroles, il aurait, dans son chagrin, écrit les vers qui sont désormais attachés à la mélodie :
Sandunga, sandunga mamá
Por dios
Sandunga no seas ingrata
Mamá de mi corazón
Hay! sandunga, sandunga
Mamá por dios
Sandunga no seas ingrata
Mamá de mi corazón
Antenoche fui a tu casa
Tres golpes le di al candado
Tu no sirves para amores
Tienes el sueño pesado
Sandunga, sandunga mamá
Por dios
Sandunga no seas ingrata
Mamá de mi corazón
Me ofreciste acompañarme
Desde la iglesia a mi choza
Pero como no llegabas
Tuve que venirme sola
Hay! sandunga, sandunga
Mamá por dios
Sandunga no seas ingrata
Mamá de mi corazón
A orillas del papaloapa
Me estaba bañando ayer
Pasaste por las orillas
Y no me quisiste ver
Hay! sandunga, sandunga
Mamá por dios
Sandunga no seas ingrata
Mamá de mi corazón.
Sans les paroles, la légèreté de la musique laisserait croire à l’expression d’une joie populaire, mais la mention de la mère, de la mort, de Dieu et des larmes lui confère une dimension tragique, que Le Clézio a captée et dont il fera l’évocation musicale de Frida Kahlo qui parsème Diego & Frida comme un leitmotiv. En effet, la mention des femmes de Tehuantepec renvoie à Frida-la-Tehuana, mais aussi à Frida-la-révolutionnaire, car les Zapotèques, en révolte contre les lois agraires les privant de leurs propriétés, firent de la Sandunga leur hymne de guerre en 1876. Danse tragique du sort des femmes et du peuple de l’isthme qu’annonçait l’exécution hâtive du parolier lors des troubles politiques de 1855 pour obtenir l’indépendance de l’isthme.
Placée sous la contradiction de la danse populaire liée à la fête et de la mort, la Sandunga reflète l’étrange passage terrestre de Frida, fait d’ardeur de vivre et de hantise de la mort, de larmes, de douleur et d’amour : « Le rythme lent de la sandunga emporte Frida dans ses rêves, éternellement aux côtés de Diego, dans le cercle rituel de la danse, offrande et fertilité et tourbillon vertigineux de l’amour » (Le Clézio, 1993, 200). Une relecture de la valse, de l’âme de l’artiste se confondant avec le peuple dans une vaste métaphore. Éclat et douleur du « Rêve mexicain ».
Bernadette Mimoso-Ruiz
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Constant, Isabelle, « Portrait de Le Clézio en Diego et Frida » in Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet & Marina Salles (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 129-144 ; Herrara, Hayden, A Biography of Frida Kahlo, New York, Harper Collins Publishers Inc., 1983 ; Le ClÉzio, J.-M.G., Diego et Frida, Paris, Stock, 1993 ; Rey Mimoso-Ruiz, Bernadette, « Diego et Frida ou le paradoxe pour révélateur du mythe » in Bruno Thibault & Keith Moser (dir.) J.M.G. Le Clézio. Dans la forêt des paradoxes, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 99-110 ; Thiercelin, Raquel, La Revolución mexicana, Paris, Masson et Cie, 1972 ; Zamora, Martha, Frida, el pincel de la angustia, Mexico, La Herradura, 1987.
Diego & Frida ; Kahlo (Frida) ; Rêve mexicain (Le) ; Rivera (Diego) ; Révolution (Mexique).