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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Deuxième nouvelle du recueil La Ronde et autres faits divers, paru en 1982, et troisième – à côté de « Ariane » et de « David » – à annoncer, par le titre, son étayage potentiel sur le filon mythique ou religieux, « Moloch » raconte quelques épisodes de l’existence isolée et fort peu mouvementée d’une jeune femme enceinte, prénommée Liana, qui vit seule dans un mobile home, avec Nick, son chien loup pour unique compagnie. Comme pour la plupart des autres récits, « Moloch » se donne pour but d’arracher à l’anonymat (où il est relégué par le fait-divers) l’individu démuni, vivant un drame personnel à l’écart d’une société indifférente, mais non moins désireuse pour autant de maîtriser son destin en lui imposant ses lois.

Cette nouvelle se remarque tout d’abord par l’ancrage temporel le plus précis à l’échelle du recueil, puisqu’elle débute le 15 août 1963, jour de l’Assomption, se poursuit le 3 octobre, jour de la naissance de l’enfant de Liana, et se clôt quelques jours plus tard, sans que le texte indique une date quelconque. Néanmoins, les deux premiers indices temporels sont plutôt censés réactualiser une journée particulière en lui ôtant ainsi le caractère ordinaire, tandis que la linéarité est tributaire de l’évolution biologique de la grossesse.

Cela parce que, là où le fait divers privilégie l’événementiel, l’écrivain privilégie le vécu individuel. Liana est une femme esseulée, délaissée par l’homme dont elle est enceinte. Le souvenir lui est plaie ouverte, ce qui fait que le retour en arrière est banni consciemment. « Moloch » repose à son tour sur le rythme de la vie qu’impose la perception, et cette dernière fond dans le même creuset la chaleur écrasante et la lumière aveuglante du soleil qui enferment l’abri du personnage dans une sphère de feu où le temps n’est plus rythmé par l’horloge. Le manque de perspective – dans le temps aussi bien que dans l’espace – fait que l’existence de Liana est engourdie à l’intérieur du … « mobile home » (sic !), mais il s’agit d’une immobilité paradoxalement salvatrice, car la protagoniste a horreur de l’agitation qui est la substance de la quotidienneté de ses semblables.

Cependant, si le nom du personnage symbolise, entre autres, les « liens » sociaux coupés, le monde extérieur parvient à empiéter sur la bulle de Liana à travers l’assistante sociale, qui lui porte secours une fois qu’elle s’évanouit, sans pour autant devenir une présence tolérée. En fait, une faille se creuse dans cette nouvelle aussi entre l’individu désireux de vivre à l’écart et la société qui menace en permanence de briser l’équilibre fragile de l’isolement. Liana redoute « les autres », qui « savent où ils vont » et « n’ont pas peur de se perdre » (M, 32) ; autrement dit, elle redoute le prévisible trop structuré. Dans ce contexte, son seul allié reste Nick, le chien loup offert par Simon et dont l’auteur se sert de manière surprenante, surtout afin de multiplier les perspectives au niveau du récit. En effet, après la naissance du bébé, il introduit un fragment où le « point de perception » (la vue n’étant qu’un sens parmi les autres) est celui du... chien. C’est également l’occasion d’un glissement mythologique, car en faisant pour un instant croire au lecteur que, affamé, Nick va dévorer l’enfant en l’absence de Liana, Le Clézio ressuscite Moloch, ancienne divinité cananéenne ressemblant au Minotaure, mais souvent représentée sous les traits d’un chien auquel on sacrifiait autrefois des enfants. Il n’en est rien pourtant, et Moloch se révèle tel qu’on le connaît de nos jours sous l’image de la société dévoratrice, menaçant d’enlever l’enfant d’une mère jugée incapable de pourvoir à ses besoins.

Comme « Hazaran », « Moloch » se clôt par l’effort désespéré de Liana de sauver son enfant en se dirigeant, comme attirée par une force invisible, vers les eaux du fleuve. Mais, si le lecteur la quitte sur la rive, il ne peut qu’espérer avec elle que le regard médusant de Nick suffira à « arrêter l’avancée des hommes qui les cherchent, pendant quelques heures encore » (M, 54).

 

Bogdan Veche

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BRIÈRE, Émilie, « Faits divers, faits littéraires. Le romancier contemporain devant les faits accomplis », Études littéraires, vol. 40, no 3, 2009, p. 157-171 ; CHEVALIER, Jean ; GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 1982 ; GLAZIOU, Joël, La Ronde et autres faits divers. J.M.G. Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, coll. « Parcours de lecture », 2001 ; HANQUIER, Eddy, « Parole et silence chez Le Clézio », Communication et langages, no 89, 3e trimestre 1991, p. 18-29 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Ronde et autres faits divers, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1982 ; LE MARINEL, Jacques, « La Ronde et autres faits divers de J.M. G. Le Clézio », L’École des lettres, no 6, 1er janvier 1992, p. 33-46 ; MARTINOIR, Francine de, « Ceux qui n’ont pu choisir une autre vie », La Quinzaine littéraire, no 371, 16/31 mai 1982, p. 5-6 ; PECHEUR, Jacques, « Feuilleton : La Ronde et autres faits divers », Le Français dans le monde, no 174, janvier 1983, p. 17 ; THIBAULT, Bruno, « Du Stéréotype au mythe : l’écriture du fait divers dans les nouvelles de La Ronde et autres faits divers de J.M.G. Le Clézio », The French Review, vol. 68, 1995, p. 964-975.