- Avant-propos
- Oeuvres
-
- Romans
- Nouvelles et textes brefs
-
- « AMOUR SECRET »
- « ANGOLI MALA »
- « ARBRE YAMA (L') »
- « ARIANE »
-
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) » - « ÉCHAPPÉ (L’) »
- « FANTÔMES DANS LA RUE »
- « GÉNIE DATURA (LE) »
- « GRANDE VIE (LA) »
- « HAZARAN »
- « IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
- « L.E.L., DERNIERS JOURS »
- « MARTIN »
- « MOLOCH »
- « ORLAMONDE »
- « PASSEUR (LE) »
- « PAWANA »
- « PEUPLE DU CIEL »
- « RONDE (LA) »
- « ROUE D’EAU (LA) »
- « SAISON DES PLUIES (LA) »
- « TEMPÊTE »
- « TRÉSOR »
- « VILLA AURORE »
- « ZINNA »
- Essais
- Personnages
- Lieux
- Lexique
-
- BIAFRA (GUERRE DU)
- CANNE À SUCRE
- CHAUVE-SOURIS
- CIPAYES (RÉVOLTE DES)
- COSTUMBRISME
- CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
- DODO (LE)
- ÉCOLOGIE
- FLORE (Maurice)
- HINDOUISME
- LANGAGE DES OISEAUX (LE)
- LANGUE BRETONNE
- LOUVRE (LE)
- MURALISME
- OISEAUX (MAURICE)
- PROSE POÉTIQUE
- SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
- SANDUNGA
- SIRANDANE
- SOUFISME
- Bibliographie et abréviations
- Auteurs
« Jean-Maï ar C'hleuzioù trugarez vras da vezañ asantet digemer ac'hanomp amañ e Lokorn. (Jean-Marie Le Clézio, mille mercis de nous recevoir à Locronan.) »
Dans l’œuvre de Le Clézio, le breton apparaît peu. Le roman Révolutions comporte une épigraphe dans cette langue : « Avel, aveliou, oll avel » (Vent, vents, tout est vent). Cette épigraphe est l’une des rares références à la langue bretonne, avec le rappel, dans ce récit de voyage, de la berceuse bretonne, chantée à la petite Jeanne, « Kousk, Ianikou, kousk ma bugale » (Dors Ianikou, dors mon enfant) (p. 220-221) et les mots prononcés par le capitaine Duquesnel, lors du combat du 20 septembre 1792, en Argonne : « J’entendais la voix du capitaine Duquesnel qui criait aux Bretons le seul ordre qu’il savait dans cette langue, “Torpen ! Warraok !” C’est-à-dire : Casse la tête ! En avant ! », ainsi que le « Pezet truez, ho pezet truez », c'est-à-dire : « ayez pitié du malheureux soldat », dont le chirurgien Visquit, justifiant sa réputation de boucher, provoque la mort, en lui coupant la jambe (p.124). Enfin le « Vari José, n’am eus ket » (p.174). Le Clézio connaît la violence des vents, des tempêtes du côté de la baie de Douarnenez. Il y a sûrement une signification philosophique à cette épigraphe. On connaît tous les symboles associés au vent : fugacité, instabilité, vanité, inconstance de toutes choses, donc aussi changement, révolution, « révolutions ». Mais on peut y voir simplement, un hommage à la langue maternelle de l’ancêtre breton, François-Alexis Le Clézio, qui s’était engagé dans les troupes révolutionnaires pour aller sauver la patrie en danger, du côté de l’Argonne, puis était « parti avec sa femme et sa fille pour l’Ile de France », comme le mentionne déjà Le Livre des fuites dans lequel l’auteur insère ce qui semble un extrait du journal de son ancêtre, Journal d’un voyage de Bordeaux à l’île de France.
Le Clézio rappelait très récemment encore, dans un message, ce qu’il nous avait appris lors de notre rencontre à Locronan en 2014 :
La Bretagne pour moi a deux visages, celui de mon enfance, quand dans le pays bigouden la langue bretonne était majoritaire, avec toutes ses difficultés dialectales. Puis la Bretagne de mon âge adulte, quand j'y ai repris pied avec ma femme dans les années 75. C’est alors que je me suis intéressé à son histoire, particulièrement à celle de sa lutte identitaire, à l'époque de la duchesse Anne, et de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Quand j'en parlais avec des historiens, ils me demandaient d'où j'avais sorti cette bataille !
Il s’est donc intéressé à l’histoire de la Bretagne et à sa langue. Nous avions remarqué à maintes reprises, dans nos échanges de courrier, qu’il s’essayait à l’écriture du breton, joignant toujours un mot dans cette langue. Il pouvait mettre la date en breton : « d’an eost 8 2011 » (8 août 2011), une formule de fin « A greiz kalon », voire deux – « A greiz kalon Trugarez, ken bremaik », (merci à très bientôt), « Gant ma c'halon evidoc'h », (de tout cœur avec vous). Mais il nous confiait ses difficultés avec cette langue qu’il maîtrise moins bien que son frère, même s’il correspond avec lui en breton, dit-il, ce qui suppose tout de même un certain niveau.
Le Clézio se dit « un militant du bilinguisme ». Il signe, en 2006, une pétition adressée à Jean-Pierre Raffarin « pour le sauvetage de la langue bretonne », à l’initiative d’une professeure d’histoire et de géographie de Rennes, Catherine Ollivro, avec un certain nombre de personnalités, d’artistes, d’écrivains : Irène Frain, Yves Coppens, Mona Ozouf-Sohier, Manu Chao, Gilles Servat, Alan Stivell… Ils dénonçaient « les freins mis à l’enseignement du breton, qui menacent la survie de cette langue », menace confirmée par le refus du Sénat, en octobre 2015, de ratifier la Charte européenne des langues régionales.
Dans Révolutions, l’auteur décrit la politique d’éradication de la langue bretonne par la France au moment de la Révolution de 1789 et la brutalité de l’armée française qui, en terrorisant les campagnes bretonnes, va détourner les Bretons de la Révolution. « La langue bretonne même devenait condamnable aux yeux des Jacobins. Le député Barère n’avait-il pas déclaré à l’Assemblée, en réponse aux doléances des Bretons, que « le fédéralisme et la superstition parlent le breton ». La loi du 39 Vendémiaire de l’an II proclamait que « dans toutes les parties de la République, l’instruction [devait] être faite en français » (Révolutions, p. 183). Les instituteurs de la IIIe République ont poursuivi l’œuvre de la Révolution, avec sans doute en mémoire l’adresse violente de la Convention du 16 prairial an II : « Citoyens, qu’une sainte émulation vous anime pour bannir de toutes les contrées de France ces jargons qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monuments de l’esclavage ».
Lors de notre entretien, Le Clézio expose ce qu’il dénonce comme une « grande tragédie ». Il prend l’exemple de son voisin sur la commune de Douarnenez, né dans la langue bretonne, mais qui ne l’a pas transmise, jugeant que l'avenir des enfants impliquait nécessairement « l’amuïssement, l'amputation » d’une langue associée à la pauvreté. Et, malheureusement, la réintroduction récente de l'enseignement du « breton moyen », ne restaure pas cette part d’identité perdue pour toute une génération.
En réponse à la question de Paolig Combot sur l’utilité, voire la nécessité de transmettre les spécificités de la Bretagne, sa culture et sa langue aux jeunes générations, Le Clézio fait un vibrant plaidoyer en faveur de l’enseignement et de la diffusion de la langue bretonne. Elle est « utile parce qu'elle est un accomplissement, parce que c'est une langue très ancienne, qui a donc sa place dans le concert des langues, comme la culture bretonne a son rôle à jouer dans le concert des nations ». Pour lui, « sans sa langue, la Bretagne ne serait qu’une province et non une nation ». Et d’encourager Jean-Luc Cloarec, jeune « bretonnant » : « votre combat vous rend grands », car « si la Bretagne a fait des progrès du point de vue économique, elle a surtout acquis désormais une grande confiance dans sa culture, dans l’avenir de sa langue, et l’engagement de sa jeunesse en témoigne » (Kerjean, 2014, 25-26).
Quand Le Clézio parle du breton, il le fait comme l’observait son ami Jean Grosjean, « de l’intérieur », de l’intérieur d’une connaissance déjà avancée de la langue, dont témoigne sa réflexion sur les dialectes bretons. Partant du constat que « la structure du breton est toujours la même, que les mots sont à peu près les mêmes », et que les difficultés de compréhension entre « bretonnants » proviennent de « l’accent, de l’intonation », il en vient à juger assez favorablement la promotion d’une langue « qui pourrait être utilisée à nouveau par les gens de toutes les régions, de toutes les classes sociales et pas seulement des agriculteurs d'un village. » (ibid., 20)
Ce qu’il dit pour le breton est valable pour d’autres langues. Le Clézio est un mondialiste qui parle plusieurs langues et montre de l’intérêt pour les langues en général. Dans L’Inconnu sur la terre (1978), figure un très beau développement sur les caractéristiques sonores des « langues de la diversité » : « J’aime entendre les langues, les voix. La musique de l’anglais, haute basse, tombante, trébuchante. L’énoncé nasillard un peu monotone du français, sons clairs et consonnes dures. Le glissement doux murmurant de la langue suédoise. Les liquides, les sons longs du finnois. La musique serpentante du vietnamien, du laotien, la musique volubile de l’espagnol, les doubles consonnes de l’italien. Les sons étranges du piémontais. Les sons très doux de la langue arabe. Les chuintements du russe, bruits d’eau, aigus, étouffés, graves, assourdis. » (IST, 97-98). Le texte se termine par l’éloge, riche de symboles, de deux langues, « les plus belles, les plus mystérieuses », le portugais et le nahuatl, cette langue amérindienne dont on dit qu’elle dérive probablement du mot « nāhuatlahtōlli » signifiant « parole claire, harmonieuse, qui rend un bon son » (Kerjean, 2014, 125).
Les efforts de Le Clézio pour assimiler certaines langues datent donc de bien longtemps : il avait étudié le purhepecha (tarasque) avec Don Daniel Manzo de Tarecuato (Michoacán), lors de son séjour au Mexique, afin de mieux approcher, comme Maou dans Onitsha, l’âme des peuples. Son amie coréenne Ki-Jeong Song, professeur de littérature française à l’université féminine EWHA, à Séoul, où Le Clézio a enseigné, écrivait qu’« il lui posait des questions sur les lettres coréennes qu’il lisait sur les panneaux des sites historiques et archéologiques. Il les lisait parce qu’il avait appris le coréen tout seul avec un manuel, avant de venir en Corée ». (KI-JEONG-SONG, 2009). Dans une conférence de presse à Pékin, le 7 décembre 2009, au Centre culturel français (CCF), il dit son émerveillement devant la langue chinoise et il la commente, c’est une évidence, en initié : « Une langue monosyllabique qui permet des rencontres hasardeuses entre sons, des juxtapositions qui sont une merveille pour l’esprit occidental. Je demande toujours le sens des noms propres. J’ai gardé cet émerveillement d’enfant devant la sémantique de la langue chinoise ».
Tous ces exemples montrent un Le Clézio très cohérent avec lui-même dans la mesure où il s’est efforcé tout au long de sa vie de « prendre le froc du pays » (Diderot), où il résidait afin de s’en approcher davantage, de mieux communiquer en apprenant la langue. En ce qui concerne le breton, c’est un peu différent, car il s’agit à la fois de défendre une cause, de sauver une langue identitaire, de militer pour le bilinguisme, mais c’est aussi, sans aucun doute, une façon de retrouver ses racines, la langue qu’il entendait dans son enfance, de renouer avec son identité bretonne.
Émile Kerjean
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
KERJEAN, Émile, Morlaix, Skol Vreizh n°69, 2014 ; Le Clézio est Univers, Morlaix, Skol Vreizh, 2015 ; LE CLÉZIO, J.-M.G, L’Inconnu sur la terre, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1978 ; Révolutions, Paris, Gallimard, 2003 ; KI-JEONG-SONG, « Le Clézio et la Corée du Sud, une relation privilégiée » in Italiques, Jean-Marie Le Clézio, Prix Nobel de littérature, Quatre Bornes, Ile Maurice, 2009 ; GARRIGUE, Anne, Synthèse de la conférence de presse de Le Clézio, Connexions, Pékin, 2009.
Bretagne ; Saint-Aubin-du-Cormier (Bataille de).